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À propos de l’auteur

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Abdulhadi Jfri, M.D., MSc, FRCPC

Dr Abdulhadi Jfri est titulaire d’une certification en qualité de membre du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada en dermatologie, et de diplomate de l’American Board of Dermatology (DABD). Il a accompli son master en médecine expérimentale au département d’épidémiologie et de biostatistique (MSc) et une résidence de cinq ans en dermatologie à l’Université McGill. Il a également bénéficié d’une bourse de recherche en procédures chirurgicales avancées au centre médical Icahn School of Medicine at Mount Sinai, à New York. Le Dr Jfri termine actuellement sa spécialisation en dermatologie médicale complexe à la Harvard School of Medicine, où il partage ses activités entre le Brigham and Women’s Hospital (BWH) et le Dana-Farber Cancer Institute (DFCI).

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 3, Numéro 2, Mai 2022

Approche des lésions cutanées chez les patients atteints de maladies inflammatoires intestinales

Introduction

Les maladies inflammatoires intestinales (MII) sont notamment la colite ulcéreuse (CU) et la maladie de Crohn (MC). Ce groupe de maladies inflammatoires chroniques présente de nombreuses manifestations extra-intestinales. La peau est le deuxième organe extra-intestinal le plus souvent touché après le système musculo-squelettique.1 La prévalence des manifestations cutanées chez les patients atteints de MII est estimée à 15 %. Certains symptômes sont plus fréquents dans la CU et d’autres le sont dans la MC.2 Une approche pratique des manifestations cutanées permettant de guider l’examen et la prise en charge des patients atteints de MII et orientés vers un service de dermatologie est abordée dans cet article. Ces manifestations cutanées des MII sont résumées dans le Tableau 1.

Tableau 1: Manifestations cutanées des maladies inflammatoires intestinales (MII); avec l’aimable autorisation du Dr Abdulhadi Jfri, M.D.

Cet article divise les manifestations cutanées des MII en quatre sous-groupes principaux :

I. Extension cutanée de la maladie digestive : 

La maladie de Crohn métastatique est une forme rare de la MC qui se manifeste par des papules ou des nodules violacés non spécifiques susceptibles d’évoluer en ulcères partout sur le corps, mais le plus souvent dans les zones intertrigineuses; mais ils peuvent également être observés sur l’abdomen et les extrémités. Le diagnostic requiert une confirmation pathologique des lésions montrant des granulomes non caséeux similaires à la MC sous-jacente.3 Les fistules périanales sont considérées comme une extension par contiguïté de la MC et peuvent correspondre à une manifestation de la maladie. D’autres lésions contiguës sont notamment les ulcérations dites « en coup de couteau » des plis inguinaux, qui sont considérées comme le signe cutané le plus courant chez les adultes.4 L’œdème génital associé à des lymphangiectasies est quant à lui le signe le plus courant chez les enfants.5

II. Manifestations d’origine carentielle :

Les patients atteints de MII présentent souvent de nombreuses carences nutritionnelles liées à l’inflammation chronique, aux restrictions alimentaires (surtout pendant les poussées) et à la résection chirurgicale. Ces carences nutritionnelles peuvent également résulter de la malabsorption et de la diarrhée. 

La carence nutritionnelle la plus fréquente chez les patients atteints de MII est la forme acquise d’acrodermatite entéropathique due à une carence en zinc. Elle se présente sous la forme de plaques squameuses érythémateuses acrales et périorificielles qui évoluent vers des lésions érosives pustuleuses, psoriasiformes, vésiculo-bulleux ou croûteuses, et peut être associée à une alopécie non cicatricielle diffuse. D’autres dermatoses nutritionnelles sont notamment la pellagre, causée par une carence en vitamine B3 et caractérisée par une photosensibilité et une hyperpigmentation des zones photo-exposées, une hyperplasie sébacée et une stomatite; le scorbut, causé par une carence en vitamine C, caractérisé par des papules hyperkératosiques, des poils en forme de tire-bouchon avec saignements périfolliculaires et des gencives enflammées saignant facilement; le purpura, causé par une carence en vitamine K; la stomatite, la glossite ou la chéilite angulaire causée par une carence des diverses vitamines B; et la xérodermie (sécheresse cutanée et plaques eczémateuses) causée par une carence en acides gras essentiels.6,7

III. Manifestations orales :

Les symptômes oraux de la MII sont variés et comprennent : stomatite aphteuse (réactionnelle à la poussée de la maladie), fissures linéaires du vestibule buccal, aspect de pavage de la muqueuse (observé dans la MC sous forme de nodules granulomateux muqueux coalescents), chéilite angulaire, pyostomatite végétante (pustules et érosions buccales sous forme de trace d’escargot), pyodermatite-pyostomatite végétante et chéilite granulomateuse ou gonflement persistant de la muqueuse buccale, le plus souvent chez les patients atteints de MC.8

IV. Manifestations associées :

Plusieurs dermatoses associées qui sont observées chez les patients atteints de MII sont décrites dans la Figure 1 et plus en détail ci-dessous. 

Figure 1: Dermatoses associées aux maladies inflammatoires intestinales (MII); avec l’aimable autorisation du Dr Abdulhadi Jfri, M.D.

Certaines de ces dermatoses associées reflètent généralement l’activité de la maladie, mais d’autres peuvent apparaître chez des patients dont l’affection est bien maîtrisée. L’érythème noueux est la lésion cutanée la plus couramment associée aux MII et se retrouve plus souvent chez les femmes atteintes de colite active; il se présente sous la forme de nombreux nodules érythémateux sous-cutanés douloureux localisés sur les extrémités, généralement sur la partie antérieure des jambes.9 Le pyoderma gangrenosum, ou pyodermite phagédénique (PG), la deuxième lésion cutanée la plus fréquente dans les MII, survient généralement en présence de CU et ne semble pas être corrélée à l’activité de la maladie. Le PG peut apparaître n’importe où sur le corps, mais il est surtout localisé sur les extrémités à la suite d’un traumatisme. Les lésions se présentent sous forme de papules/pustules violacées douloureuses, uniques ou multiples, qui évoluent en ulcères dont les bords creusés sont de couleur gris métallique et cicatrisent en laissant une surface cribriforme.9 Une autre affection cutanée associée aux MII est l’hidradénite suppurée (HS). Dans une méta-analyse et un examen systématique réalisés en 2019, portant sur cinq études de cas-témoins, deux études transversales et une étude de cohorte incluant un total de 93 601 participants, l’analyse a démontré des associations entre la HS et la MC (rapport de cotes groupé, 2,12; CI de 95 %, 1,46-3,08) et la CU (rapport de cotes groupé, 1,51; CI de 95 %, 1,25-1,82). Les patients atteints de MII ont tendance à présenter davantage de lésions périanales que les patients atteints de HS sans MII.10

Les dermatoses à neutrophiles, dont le syndrome de Sweet qui se manifeste par une fièvre aiguë ainsi que des plaques et des nodules douloureux sur la partie supérieure du corps, sont généralement associées à une poussée active de MII.11 Le syndrome arthro-cutané associé aux maladies intestinales peut aussi se présenter sous forme de papules papulo-pustuleuses localisées sur les extrémités, également dans le cadre d’une MII active.12

La vascularite cutanée est également associée aux MII avec ou sans activité de la maladie. Elle regroupe notamment la vascularite des petits vaisseaux cutanés (VPVC)13, qui présente des lésions de purpura palpables évoluant vers des vésicules hémorragiques ou de la polyartérite noueuse cutanée (PNC)14 caractérisée par des lésions de purpura, des nodules, des ulcères et un livedo reticularis.

De plus en plus de preuves suggèrent une association entre l’EBA et les MII, telles que la CU et la MC. Il a été démontré que les MII sont présentes chez environ 30 % des patients EBA.15 L’EBA se manifeste sous forme de vésicules cutanées fragiles dont la guérison laisse des cicatrices et des grains de milium dans les zones exposées aux frottements, telles que les mains, les coudes, les genoux et les chevilles.16 Quant à la pemphigoïde bulleuse (PB), on pensait qu’elle était induite par des médicaments utilisés pour le traitement des MII, tels que la mésalamine ou la sulfasalazine. Cependant, selon une étude de cas-témoins menée au sein de la population et portant sur un total de 5 263 patients atteints de BP et de 21 052 témoins appariés par âge, sexe et nombre de visites à l’hôpital, recencés dans la base de données de recherche de l’assurance maladie nationale de Taïwan (1997-2013), l’association entre la CU et le traitement des MII n’est pas liée au développement de la BP. La PB se manifeste sous forme de vésicules tendues recouvrant une plaque urticarienne prurigineuse antérieure ou concomitante.17 Il s’est avéré que la prévalence de la dermatose bulleuse à IgA linéaire (DBIgAL) était de 7,1 % chez les patients atteints de CU par rapport à 0,05 % dans la population générale.18

Comme l’a démontré une récente méta-analyse incluant plus de 7,7 millions de patients, il existe une relation significative entre les MII et le psoriasis. Les patients atteints de psoriasis présentaient un risque accru de MC (RR, 2,53; IC de 95 %, 1,65-3,89) et de CU (RR, 1,71; IC de 95 %, 1,55-1,89).19 Une autre association qui peut être induite par les médicaments est la réaction paradoxale de type psoriasis pustuleux palmoplantaire qui peut être associée aux inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale alpha (TNFα). Dans une revue et une analyse portant sur 127 cas de patients recevant des inhibiteurs du TNFα pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, de la spondylarthrite ankylosante et de la MC [70 patients sous infliximab (55,1 %), 35 sous étanercept (27,6 %) et 22 sous adalimumab (17,3 %)], l’inhibiteur a induit et exacerbé le psoriasis pustuleux palmoplantaire dans 40 % des cas, et le psoriasis en plaques dans 33,1 % des cas.20

Bien que le lichen nitidus soit une affection cutanée rare qui se présente sous la forme de papules asymptomatiques monomorphes et plates, de couleur chair, il a également été associé à la MC, surtout en ce qui concerne la forme généralisée.21 D’autres affections associées sont notamment l’érythème annulaire centrifuge, l’EED (erythema elevatum diutinum), les lésions cutanées de l’amyloïdose secondaire et d’autres maladies auto-immunes coexistantes telles que le vitiligo. L’erythema ab igne, ou dermite des chaufferettes, est lié à l’utilisation répétée de coussins chauffants/bouillottes pour soulager les douleurs abdominales pendant les poussées de la maladie. Il peut apparaître sur diverses régions du corps, en particulier l’abdomen.22

L’utilisation prolongée d’agents immunosuppresseurs, tels que l’azathioprine et la prednisone, et d’agents biologiques peut également accroître le risque de cancers de la peau chez les patients atteints de MII. Le risque de cancer de la peau non-mélanome (CPNM) a plus que doublé chez les patients atteints de MII qui prenaient des thiopurines (RR 2,28, IC de 95 % 1,5-3,5).23 Dans une méta-analyse portant sur 12 études menées auprès de plus de 172 000 patients, les MII ont été associées à une augmentation de 37 % du risque de mélanome (12 études : RR, 1,37; IC de 95 %, 1,10-1,70) par rapport à la population générale.24

Conclusion 

En conclusion, les manifestations cutanées observées chez les patients atteints de MII ont des étiologies diverses, notamment des affections associées, des carences en vitamines, des complications cutanées et des complications dues aux traitements médicaux ou chirurgicaux. La reconnaissance de ces manifestations cliniques cutanées chez les patients atteints de MII est essentielle pour la pose d’un diagnostic correct et une prise en charge appropriée.

Références 

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