À propos de l’auteur

Maxwell B. Sauder, MD, FRCPC, FAAD, FCDA
Actualité Dermatologique au Canada, Volume 3, Numéro 2, Mai 2022
Carcinome épidermoïde cutané : stratification du risque et stadification
Introduction
Le cancer de la peau non-mélanome (CPNM) est l’une des formes de cancer les plus fréquentes au Canada, avec un nombre de cas estimé à 76 100 en 2014, soit environ 28 % de tous les nouveaux cas de cancer.1 Le carcinome épidermoïde cutané (CEC) est le deuxième type de CPNM le plus courant et présente un risque plus élevé de métastases et de décès que le CPNM le plus fréquent, le carcinome basocellulaire (CBC). La plupart des CEC sont des tumeurs primitives à faible risque; cependant, les tumeurs primitives à risque plus élevé, localement avancées, régionales ou métastatiques à distance peuvent entraîner une réduction importante de la survie (Figure 1). Le premier traitement systémique contre le CEC, le cemiplimab, a été approuvé au Canada en 2019. Cet article a pour but d’analyser l’épidémiologie, la stratification du risque et les systèmes de stadification disponibles pour le CEC afin d’aider les cliniciens à mieux identifier les patients susceptibles de bénéficier d’un diagnostic plus précis ou d’un traitement.
Épidémiologie
Les données statistiques concernant l’incidence, la prévalence, la morbidité et la mortalité du CEC sont limitées. La plupart des registres canadiens sur le cancer n’assurent pas le suivi du CEC. De plus, le carcinome basocellulaire (CBC) et le carcinome épidermoïde (CE) ainsi que certains autres CPNM sont souvent regroupés sous les mêmes codes, ce qui ne permet pas d’établir une distinction facile entre les différents types de cancers.2
Selon les estimations de 2014, environ 77 % de tous les cas de CPNM diagnostiqués au Canada étaient des CBC et 23 % des CE1. Une autre étude menée à peu près à la même époque a indiqué que le rapport entre les patients traités pour un CBC et un CE dans une cohorte de bénéficiaires de Medicare aux États-Unis était de 1:1.3 Les études démontrent systématiquement que le taux d’incidence du CEC est en hausse. Selon une étude de population menée récemment sur les taux d’incidence et de mortalité du carcinome kératinocytaire en Ontario, le taux d’incidence a augmenté de 30 % sur une période de 14 ans, de 2003 à 2017, pour atteindre 369 pour 100 000 hommes et 345 pour 100 000 femmes en 2017 (VAMP [variation annuelle moyenne en pourcentage] 1,9 %, intervalle de confiance de 95 % [IC] 1,7 à 2,1 de 2003 à 2017). Parallèlement, le taux de mortalité du CPNM a été multiplié par 4,8 entre 1997 et 2017 (VAMP 8,9 %, IC de 95 % 6,4 à 11,4 chez les hommes; 8,0 %, IC de 95 % 5,3 à 10,8 chez les femmes), la majorité des décès étant probablement dus au CEC4.
La plupart des cas de CPNM sont associés à une réponse complète au traitement. Les CEC pourraient présenter un risque de récidive locale de 3 % et un risque métastases de 4 %. Une étude prospective sur les facteurs de risque déterminant le pronostic de récidive locale ou de métastase du CEC n’a observé aucune métastase dans les tumeurs d’une profondeur de 2,0 mm ou moins. Par contre, 4 % (12 sur 308) des tumeurs de 2,1 mm à 6,0 mm et 16 % (14 sur 90) des tumeurs de plus de 6,0 mm en produisaient5. Le risque de mortalité du CEC métastatique est élevé et de nombreuses études rapportent des taux supérieurs à 70 %6. Plus précisément, le taux de survie à 5 ans du CEC métastatique régional était de 58,3 %7 par rapport à 11 % pour le CEC produisant des métastases à distance8.
Facteurs de risque caractéristiques des tumeurs
Les caractéristiques des tumeurs permettant de prédire une récidive locale ou la production de métastases peuvent être précieuses pour la prise en charge en vue d’améliorer la survie. De nombreuses variables associées à un « risque plus élevé » ont été identifiées, dont le diamètre et l’épaisseur de la tumeur, l’invasion périneurale, l’emplacement, l’invasion au-delà de la couche de graisse sous-cutanée, la différenciation histologique et l’immunosuppression. En 2020, le NCCN (National Cancer Comprehensive Network) a élaboré des lignes directrices cliniques qui identifient les caractéristiques à haut risque9. Des lignes directrices comparables portant sur des critères similaires ont été élaborées par la BAD (British Association of Dermatologists)10 et l’EADO (European Association of Dermato Oncology)11 (Tableau 1). Les méta-analyses réalisées en 201612 et 202013 ont déterminé le risque relatif de chacun des facteurs de risque élevé pour la récidive locale, les métastases et le décès lié spécifiquement à la maladie (Tableau 2). Pour le dermatologue canadien, la présence d’un ou de plusieurs de ces facteurs de risque doit inciter à envisager un traitement agressif, un diagnostic plus précis et/ou une surveillance plus régulière.

Zone L : tronc et extrémités (à l’exclusion des mains, des ongles, de la région prétibiale, des chevilles et des pieds).
Zone M : joues, front, cuir chevelu, cou et région prétibiale.
Zone H : « zones de masque » du visage (face centrale, paupières, sourcils, région périorbitaire, nez, lèvres [jonction cutanée et vermillon], menton, mandibule, peau/sillon préauriculaire et rétroauriculaire, tempe et oreille), organes génitaux, mains et pieds. LLC, leucémie lymphocytaire chronique.
Tableau 1 : Facteurs à haut risque de récidive et de métastases dans les lignes directrices BAD au Royaume-Uni, EADO en Europe et NCCN aux États-Unis; d’après Dessinioti C et al.

D’après les méta-analyses de Thompson et al. 2016 portant sur 36 études, et de Zeng et al. 2020 portant sur 43 études (l’estimation multivariée pour chaque facteur n’était pas toujours disponible dans les études incluses).
NR, non rapporté.
DLM, décès lié à la maladie; RL, récidive locale; MG, métastase ganglionnaire; ns, non statistiquement significatif; RR, risque relatif.
*Statistiquement significatif (P < 0,05).
**Une seule étude incluse sur l’immunosuppression et le DLM.
Tableau 2. Quantification du risque posé par la présence de facteurs à haut risque de récidive, de métastases et de décès lié spécifiquement à la maladie; d’après Dessinioti C et al.
Systèmes de stadification
Les deux principaux systèmes de stadification du CEC sont ceux de l’AJCC (American Joint Committee on Cancer) et du BWH (Brigham and Women Hospital) (Tableau 3). Le système de l’AJCC est utilisé spécifiquement pour le CEC de la tête et du cou et nécessite des informations sur la tumeur (T), l’atteinte des ganglions lymphatiques (N) et la présence de métastases (M) pour établir le bilan complet de stadification. Le système du BWH n’évalue que les caractéristiques tumorales. Selon les résultats d’une comparaison entre les deux systèmes, le système de stadification BWH possède une spécificité plus élevée (93 %) et de meilleures valeurs prédictives positives (30 %) pour l’identification des cas à risque de métastases et de décès14. Le système AJCC a une meilleure valeur prédictive négative (99,2 %)15. Le système BWH peut fournir un meilleur pronostic pour les patients atteints d’un CEC localisé, tandis que la 8e édition de l’AJCC semble supérieure pour établir les classifications nodales et métastatiques16.

N, nombre; NCRAS, National Cancer Registration and Analysis Service
Tableau 3. Études rapportant l’incidence et la mortalité basées sur la population du CEC avancé; d’après Ruiz ES, et al, 2019
Conclusion
On estime que le taux de mortalité du CEC est égal à celui des carcinomes rénaux et oropharyngés ainsi que des mélanomes17. La différence entre le CEC et ces autres tumeurs malignes tient au fait que ces dernières disposent de systèmes de stadification cohérents et de schémas thérapeutiques déjà bien établis et identifiés. Malheureusement, il n’existe aucun système universellement accepté ou systématiquement appliqué pour le CEC. Les lignes directrices 2018 de l’AAD (American Academy of Dermatology) relatives au CEC recommandaient le système BWH pour le pronostic et la stratification NCCN pour l’orientation clinique pratique16. Au Canada, il existe actuellement des immunothérapies, telles que le cemiplimab et le pembrolizumab, qui ont été approuvées pour le traitement du CEC localement avancé ou métastatique. D’autres travaux sont nécessaires pour élaborer une approche canadienne du CEC. Entre temps, l’utilisation des divers facteurs de risque ou systèmes de stadification du CEC examinés dans cet article contribuera à identifier les tumeurs susceptibles de mener à des issues délétères ainsi que les patients qui pourraient tirer avantage d’une meilleure évaluation des ganglions lymphatiques ou de traitements14.
Références
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