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À propos de l’auteur

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Aaron Drucker, MD, ScM, FRCPC

Aaron Drucker est dermatologue, clinicien-chercheur et professeur adjoint à l’Université de Toronto et à l’Hôpital Women’s College. Il a fait ses études de médecine à l’Université Queen’s (Canada) et sa résidence à l’Université de Toronto avant d’obtenir, une maîtrise et une bourse de recherche en recherche clinique et translationnelle à l’Université Brown. Ses recherches portent sur l’épidémiologie de la dermatite atopique et l’exercice clinique qui repose sur des données probantes.

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 1, Numéro 1, Février 2020

Comorbidités de l’eczéma chez l’adulte : Qu’en est-il? Qu’est-ce qui compte?

L’observation selon laquelle le psoriasis pourrait être un facteur de risque indépendant d’infarctus du myocarde (IM), qui a été démontrée d’une manière particulièrement éloquente dans une étude de la population du Royaume-Uni publiée dans le JAMA1 , est à l’origine d’un flot constant d’études portant sur les comorbidités des maladies de la peau. 

Le psoriasis, la dermatite atopique (eczéma), l’hidrosadénite suppurée, la pelade et d’autres affections ont fait l’objet d’études portant sur leurs liens avec diverses comorbidités extracutanées. Plus précisément, l’eczéma a fait l’objet d’études portant sur la santé mentale et les troubles du sommeil, les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose et le risque de fracture. Dans le présent article, je passe en revue les données relatives à certaines comorbidités de l’eczéma chez les adultes, et j’exprime mon opinion sur la possibilité que l’une ou l’autre puisse se répercuter sur la prise en charge de nos patients. Autrement dit, comptent-elles?

Troubles du sommeil

D’importantes études portant sur l’ensemble de la population aux États-Unis ont révélé que les adultes atteints d’eczéma présentent des taux d’insomnie trois fois plus élevés que la population générale2. Par conséquent, il est tout à fait compréhensible d’observer une augmentation de la somnolence et de la fatigue diurnes dans ce groupe d’individus. Des études ont révélé que ce manque de sommeil a d’autres conséquences, à savoir que la combinaison d’eczéma et de troubles du sommeil a été associée à une auto-évaluation biaisée de l’état de santé général et à des taux plus élevés de blessures2,3. Ces conclusions sont parfaitement compréhensibles d’un point de vue clinique. Un bon nombre de mes patients atteints d’eczéma signalent que les démangeaisons qu’ils ressentent sont plus intenses pendant la nuit, ce qui entraîne des égratignures nocturnes et de la difficulté à s’endormir, ainsi qu’un réveil nocturne. Ce phénomène est une source de fatigue et d’une sensation de malaise généralisée. En outre, le manque de sommeil et la fatigue peuvent compromettre la capacité de concentration et accroître le risque de blessures.

Bref, la perturbation du sommeil chez les patients atteints d’eczéma est un facteur important. Lorsque nos patients nous consultent à la clinique, nous devons donc toujours nous enquérir de la qualité de leur sommeil, puisqu’il s’agit d’un paramètre secondaire d’évaluation du contrôle de la maladie. Ce facteur fait partie des évaluations standardisées des symptômes de l’eczéma, tout comme le questionnaire POEM (Patient-Oriented Eczema Measure) d’évaluation de l’eczéma axé sur le patient4, mais les cliniciens peuvent opter pour une question toute simple : « Comment était votre sommeil dernièrement? » Ces méthodes, soit l’évaluation plus formelle et la question de routine, peuvent toutes les deux contribuer à révéler des troubles du sommeil qui peuvent compromettre la qualité de vie des patients atteints d’eczéma. La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons aider les patients dont le sommeil est perturbé par l’eczéma. Des essais cliniques ont montré qu’un traitement efficace contre l’eczéma améliore la qualité du sommeil5,6.

Dépression

L’association entre l’eczéma et la dépression est l’une des comorbidités les mieux établies et reproduites. Dans le cadre d’une méta-analyse, les sujets atteints de dermatite atopique présentaient un coefficient de dépression deux fois plus élevé que les sujets témoins7. Nous avons utilisé une cohorte représentative de la population de l’Ontario pour effectuer une étude cas-témoins portant sur le risque de suicide associé à l’eczéma. Cette étude nous a permis de constater que les sujets atteints d’eczéma persistant, définis comme ayant effectué au moins cinq visites chez le médecin pour des consultations concernant l’eczéma au cours des cinq dernières années, étaient associés à une augmentation de 20 % du risque de décès par suicide, comparativement à la population générale8. En outre, nous avons constaté que, pendant le mois ayant précédé leur décès, les deux tiers des patients atteints d’eczéma qui sont morts par suicide avaient consulté un médecin et que 13 % avaient consulté un médecin précisément à cause de l’état de leur peau.

La dépression, tout comme les troubles du sommeil, peut être considérée comme une comorbidité et un symptôme de la maladie elle-même. Les démangeaisons constantes et le manque de sommeil chez les personnes atteintes d’eczéma grave peuvent engendrer un état de morosité en l’absence de diagnostic clinique de trouble dépressif majeur. Dans le même ordre d’idées, les essais cliniques ont permis d’observer que les symptômes dépressifs s’atténuent lorsque l’eczéma se résorbe.

Nous devons évaluer l’effet et l’humeur de nos patients au cours de leurs visites à la clinique et, s’ils semblent abattus ou découragés, évaluer le risque d’automutilation. Cette évaluation peut être effectuée de façon informelle à l’aide d’outils validés, comme les deux questions du PHQ-29. Si un doute persiste après cette évaluation, il est alors tout à fait justifié de communiquer avec le médecin de famille du patient pour coordonner les soins ou d’orienter le patient vers des soins d’urgence.

Maladies cardiovasculaires

Les maladies cardiovasculaires et les facteurs de risque qui y sont rattachés sont considérés comme étant des comorbidités plus controversées quant à leur lien avec l’eczéma. Une évaluation systématique de l’association entre l’eczéma et les maladies cardiovasculaires a révélé une importante hétérogénéité d’une étude à l’autre, y compris les études transversales, les études de cas-témoins et les études de cohorte. Certaines études font état d’un risque plus élevé, alors que d’autres semblent indiquer un risque moins élevé d’accidents cardiovasculaires, comme un infarctus du myocarde et un accident vasculaire cérébral10. Une méta-analyse effectuée plus récemment a révélé qu’en se limitant aux études de cohorte (le modèle d’étude le plus approprié pour ce type de recherche), on observait un risque plus élevé de manifestations cardiovasculaires associées à l’eczéma, comme un risque accru d’infarctus du myocarde. (n = 4; risque relatif [RR], 1,12; IC à 95 %, 1,00 à 1,25), accident vasculaire cérébral (n = 4; RR, 1,10; IC à 95 %, 1,03 à 1,17), accident ischémique cérébral n = 4; RR, 1,17; IC à 95 %, 1,14 à 1,20), angine (n = 2; RR, 1,18; IC à 95 %, 1,13 à 1,24) et insuffisance cardiaque (n = 2; RR, 1,26; IC à 95 %, 1,05 à 1,51).Cette méta-analyse a également révélé que l’augmentation de la gravité de l’eczéma atopique était associée à un risque plus élevé de manifestations cardiovasculaire11. Ces études par observation font toutefois toutes l’objet d’interférences et d’autres biais qui peuvent atténuer la portée de notre interprétation des résultats. Par ailleurs, même dans les études de cohorte bien faites qui ont mis en évidence une association entre l’eczéma grave et les maladies cardiovasculaires, le risque absolu était faible, soit de l’ordre de 25 accidents vasculaires cérébraux supplémentaires pour 100 000 années-personnes atteintes d’eczéma12.

Parmi les motifs qui pourraient expliquer le lien entre l’eczéma et les maladies cardiovasculaires, on compte un état inflammatoire systémique, une réduction de l’activité physique en raison du risque de poussées d’eczéma provoquées par la transpiration et la chaleur ainsi que d’autres facteurs liés au mode de vie, comme l’obésité et le tabagisme. L’eczéma a été associé à une augmentation des taux d’obésité et de tabagisme, avec des associations positives observées dans de multiples méta-analyses13,14. Par contre, ce n’est pas ce que je constate dans ma propre expérience clinique.

À mon avis, l’eczéma n’est pas un véritable facteur de risque cardiovasculaire ou n’est qu’un facteur très mineur qui ne justifie aucune mesure clinique particulière15. À ce titre, je crois que les patients atteints d’eczéma devraient faire l’objet d’un dépistage des risques cardiovasculaires et recevoir un traitement approprié en fonction de leur âge, sans aucune modification liée à l’affection cutanée. Indépendamment de l’eczéma, les patients en surpoids ou les fumeurs doivent être encouragés à adopter un mode de vie sain.

Ostéoporose et fractures

Les liens entre l’eczéma et la santé des os n’ont pas fait l’objet d’études exhaustives. Nous avons effectué une recension systématique (sous presse) et avons trouvé 15 études portant sur le sujet. La plupart de ces études étaient malheureusement transversales et de mauvaise qualité. Une vaste étude de cohorte utilisant des données du Royaume-Uni a été publiée récemment. Selon cette étude, l’eczéma serait associé à un risque accru de divers types de fractures couramment associées à l’ostéoporose, y compris un risque accru de fracture à la hanche (RR, 1.10; IC à 99 %, 1,06 à 1,14), au bassin (RR, 1,10; IC à 99 %, 1,02 à 1,19), à la colonne (RR, 1,18; IC à 99 %, 1,10 à 1,27) et au poignet (RR, 1,07; IC à 99 %, 1,03 à 1,11)16. Tout comme pour les maladies cardiovasculaires, le risque était plus élevé chez les personnes atteintes d’une forme plus grave d’eczéma. Un lien a été établi entre un risque deux fois plus élevé de fracture à la colonne et une fois et demie plus élevé de risque de fractures à la hanche, comparativement à la population générale.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le lien entre l’eczéma et une mauvaise santé des os et les fractures. Le manque de sommeil contribue à la sensation de fatigue qui accroît le risque de blessure en général. L’inflammation généralisée associée à l’eczéma grave peut engendrer un renouvellement aberrant des cellules osseuses. Selon moi, le lien avec l’eczéma grave pourrait être associé à un traitement intermittent par corticostéroïdes systémiques, comme la prednisone. Malgré les recommandations visant à en restreindre l’utilisation, des corticostéroïdes systémiques, qui sont associés à une augmentation bien connue du risque de fractures, sont souvent prescrits aux personnes atteintes d’eczéma17.

Bien que le lien entre l’eczéma et les fractures n’ait pas encore été clairement élucidé, il est utile de s’enquérir des antécédents médicaux généraux, y compris les antécédents de fractures, et d’évaluer l’utilisation antérieure et actuelle de corticostéroïdes systémiques. En présence d’antécédents importants d’utilisation de stéroïdes systémiques, des tests de densité minérale osseuse ou un traitement visant à prévenir les fractures peuvent être indiqués.

References

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16. Lowe KE, Mansfield KE, Delmestri A, et al. Atopic eczema and fracture risk in adults: A population-based cohort study. The Journal of allergy and clinical immunology. 2019.

17. Drucker AM, Eyerich K, de Bruin-Weller MS, et al. Use of systemic corticosteroids for atopic dermatitis: International Eczema Council consensus statement. The British journal of dermatology. 2018;178(3):768-775.