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À propos de l’auteur

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(Simon) Se Mang Wong, MD, FRCPC Professeur clinicien agrégé Directeur de l’enseignement de premier cycle Département de dermatologie de l’UBC Directeur médical, Skin Health Liaison Clinic for Providence Health à l’hôpital Mount St. Joseph.

Le Dr Wong a complété son diplôme de médecine et sa résidence en dermatologie à l’Université de la Colombie-Britannique. Il exerce actuellement à New Westminster, en Colombie-Britannique, et est l’un des consultants en dermatologie invités pour les patients de Whitehorse, au Yukon. Le Dr Wong exerce également à la clinique de psychodermatologie (SKIL Clinic – Skin Health Liaison Clinic) de la clinique ambulatoire Mount Saint Joseph, qui est la seule clinique de ce type en Colombie-Britannique et qui est une clinique conjointe axée sur la dermatologie et la psychiatrie.

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 1, Numéro 4, Novembre 2020

Dermatillomanie : Une Démarche Pratique Pour Dermatologues à L’Horaire Chargé

Le dermatologue praticien est souvent appréhensif lorsqu’un patient atteint de dermatillomanie ou d’un trouble d’excoriation lui est acheminé. En raison de la nature de sa pratique, il associe souvent ce type de consultation à une durée prolongée de la consultation et au mécontentement du patient, lesquels génèrent un certain niveau d’insatisfaction pour le patient et le praticien. Comment atténuer ces effets?

Il est possible d’expliquer de bien des façons le fait qu’un patient s’arrache la peau : affection dermatologique, anomalie neurologique, prurit sans éruption cutanée, abus de médicament ou de drogue, trouble psychologique, etc. Pour le praticien, il est relativement facile de reconnaître ceux qui présentent une affection dermatologique et d’établir un diagnostic puisque ces cas de dermatillomanie sont habituellement associés à une dermatose inflammatoire, à une infection ou à une infestation. De même, il est facile de reconnaître une maladie systémique et d’établir un diagnostic, car elle entraîne un prurit sans éruption ou une anomalie neurologique sous-jacente. Il serait bon de pouvoir exclure la démence de toutes les maladies neurologiques pouvant entraîner la dermatillomanie. Il serait également bon que le dermatologue s’entraîne à reconnaître l’abus de médicaments et de drogues récréatives pouvant entraîner le grattage et l’excoriation qui s’ensuit. Il ne lui restera donc que la liste des troubles psychologiques. Le manuel DSM-5 situe l’excoriation compulsive ou dermatillomanie comme suit1 :

Pour le dermatologue praticien, il peut être difficile de se rappeler tous les critères énumérés. Il serait plus facile par contre de recourir à la psychopathologie de base, c’est-à-dire délires, dépression, anxiété et trouble obsessionnel compulsif, pour situer le patient et possiblement orienter la prise en charge. Il est important que le dermatologue se rappelle que l’un des volets les plus importants d’une bonne prise en charge de ces patients consiste à établir des relations avec ceux-ci. Il est important, après avoir admis qu’il n’existe pas une seule façon de traiter, de développer son propre style d’interaction avec les clients. Par exemple, écouter avec empathie le patient qui raconte ses difficultés peut s’avérer très thérapeutique lorsque ce patient a l’impression que ses préoccupations ne reçoivent que peu ou pas d’écho. Il est important de rester neutre et d’éviter toute spéculation liée à la cause possible des lésions du patient.

Il est essentiel de procéder à un examen physique approfondi afin d’établir un diagnostic précis. Les lésions cutanées doivent toutes être examinées, surtout les lésions initiales pour lesquelles un autre diagnostic serait possible. Les patients qui présentent un délire de parasitose ou un délire d’infestation montrent souvent le « signe de la boîte d’allumettes » qui renferme des échantillons recueillis, contenant bien souvent des débris kératiniques ou du sang séché. Il s’agirait d’un signe pathognomonique de ce délire. Toutefois, il est important que le dermatologue examine ces échantillons pour vérifier qu’il ne s’agit pas d’insectes arthropodes, comme les punaises, dont la piqûre provoque une réaction.

Il arrive parfois qu’un patient apporte un insecte qu’il croit être l’organisme responsable de son état. Si cet insecte est envoyé au laboratoire pour identification, il est important de préciser que vous recherchez une espèce qui pique ou infeste les êtres humains. Les cabinets étant chargés, il est important de planifier des consultations à la fois courtes et fréquentes pour ce type de patient. Même si on voudrait parfois recommander une évaluation psychiatrique pour ce type de patient, il est essentiel d’avoir des relations préétablies dans son réseau avec des médecins en santé mentale. Ces relations sont particulièrement importantes pour le traitement d’un trouble délirant. La plupart de nos collègues en santé mentale n’ayant jamais reçu un patient de ce genre ni vu ce type de lésions, il serait facile pour un professionnel de la santé mentale non averti de croire à une infection à la vue de telles lésions. Il suffit d’une évaluation psychiatrique concluant à une « infection » pour retarder considérablement la bonne prise en charge pour certains de ces patients.

Pour reconnaître un trouble délirant, il faut savoir que ces patients sont souvent inébranlables dans leur conviction qu’ils connaissent la cause de ces lésions. Malheureusement, la prise en charge de ces patients est particulièrement difficile du fait que les praticiens n’ont pas conscience qu’un trouble mental pourrait en être la cause. Lorsqu’un patient accepte la prise de médicaments, on recommande les antipsychotiques comme premier traitement. Le pimozide est un antipsychotique de première génération pour lequel il existe peu de données attestées par les pairs lorsqu’il est prescrit pour un trouble délirant, mais, en raison des effets secondaires qu’il peut provoquer, les antipsychotiques de deuxième génération sont conseillés3. La rispéridone et l’olanzapine sont les antipsychotiques de deuxième génération le plus souvent prescrits pour ce trouble, la rispéridone étant la plus conseillée du fait que le risque de prise de poids et le risque de syndrome métabolique sont plus élevés pour l’olanzapine4. L’aripiprazole, un antipsychotique plus récent de troisième génération, a lui aussi fait preuve d’un certain succès d’après plusieurs études de cas sur son application5,6.

Les patients sans trouble délirant sont habituellement plus faciles à reconnaître et à traiter puisqu’ils sont capables de donner des renseignements utiles sur la cause de leurs lésions et qu’ils acceptent habituellement de se faire traiter. Souvent, chez ces patients, les affections psychiatriques se chevauchent : dépression avec anxiété, anxiété avec dépression, dépression et anxiété avec traits obsessionnels compulsifs, obsessions et/ou compulsions entraînant la dépression et l’anxiété dues à la frustration, etc. Le traitement de ces patients exige une combinaison de modalités7. Pour commencer, le médecin praticien devrait opter pour la thérapie qui convient au principal symptôme psychiatrique. Par exemple, des antidépresseurs lorsque les symptômes de la dépression l’emportent, des anxiolytiques lorsque ce sont les symptômes de l’anxiété qui prédominent, des agents anti-obsessionnels ou anti-compulsifs en cas de symptômes obsessionnels compulsifs. Après quelques semaines, selon la réponse du patient, il pourrait être justifié d’ajouter des agents d’appoint.

Dans le cas d’un trouble dépressif nécessitant un traitement médicamenteux, les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine sont toujours les agents de premier recours recommandés, mais les médecins cliniciens pourraient envisager comme solution de rechange les inhibiteurs du recaptage de la noradrénaline et de la dopamine8. Ces agents peuvent également servir d’anxiolytiques. Les médecins praticiens doivent être conscients que, pour ce type de médicament, il peut y avoir un délai entre le début de la thérapie et la réaction optimale et que, par conséquent, les patients ayant des problèmes d’anxiété importants pourraient bénéficier de l’apport de benzodiazépines dans l’intérim. Les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine sont des agents très versatiles et, prescrits à haute dose, ces agents peuvent également être bénéfiques aux patients qui présentent des troubles obsessionnels compulsifs. Cependant, à notre double clinique en psychiatrie et en dermatologie, nous nous sommes rendu compte que la clomipramine s’avère très utile lorsque prescrite à faible dose, sans effet antidépresseur9. Cet agent a été le premier médicament utilisé pour le traitement des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et est indiqué pour le traitement des patients de dix ans ou plus10.

Pour résumer, bien des patients présentent des excoriations et la plupart de ceux-ci présentent une affection dermatologique ou une maladie systémique qui peut être établie comme étant l’élément déclencheur de l’arrachage de peau. Les cliniciens qui traitent ces patients doivent être conscients que l’usage de médicaments ou de drogues récréatives peut lui aussi contribuer au problème. Pour aider les cliniciens à l’horaire chargé dans le traitement des rares patients pour lesquels une cause psychiatrique serait à l’origine de leur trouble d’excoriation, il est important de déterminer le symptôme psychiatrique qui prédomine. Après cette détermination, le ciblage d’une thérapie permettra une gestion adéquate de ces patients et aidera à garantir un résultat optimal.

* Dans le cas des médicaments antipsychotiques, il est généralement important d’obtenir certaines données de base : lipides, indice de masse corporelle, tour de taille, hémoglobine A1c

† Comme pour la plupart des antidépresseurs, il faut parfois plusieurs semaines pour voir les effets; faible dose pour commencer, y aller en douceur

§ Comme pour la plupart des antidépresseurs, il faut parfois plusieurs semaines pour voir les effets; faible dose pour commencer, y aller en douceur

Références

1. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition. Arlington, VA: American Psychiatric Association; 2013 254-7.

2. Reich et al, Delusions of Parasitosis: An Update. Dermatol Ther (Heidelb) (2019) 9:631–638 https://doi.org/10.1007/s13555-019-00324-3

3. Hamann K, Avnstorp C. Delusions of infestation treated by pimozide: a double-blind crossover clinical study. Acta Derm Venereol. 1982; 62:55–8.

4. Freudenmann RW, Lepping P. Second-generation antipsychotics in primary and secondary delusional parasitosis. J Clin Psychopharmacol. 2008;28: 500–8.

5. Rocha FL, Hara C. Aripiprazole in delusional parasitosis: Case report. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry. 2007 Apr 13;31(3):784-6. doi: 10.1016/j.pnpbp.2007.01.001.

6. Ladizinski, B et al. Aripiprazole as a viable alternative for treating delusions of parasitosis. J Drugs Dermatol. 2010 Dec; 9(12): 1531-2.

7. Tomas-Aragones, L et al. Self-Inflicted Lesions in Dermatology: A management and therapeutic approach – A position paper from the European Society for Dermatology and Psychiatry.  Acta Derm Venereol 2017; 97: 159-172.

8. Kennedy, SH et al. Canadian Network for mood and anxiety treatments 2016 Clinical guidelines for the management of adults with major depressive disorder. Section 3. Can J Psychiatry 2016 Sep; 61(9): 540-560.

9. Del Casale, A et al.  Psychopharmacological treatment of Obsessive–compulsive disorder (OCD). Curr Neuropharmacol. 2019; 17(8): 710-736.

10. Apotex, Inc.  Apo-Clomipramine Product Monograph. Oct 31, 2018