À propos de l’auteur

Aaron Wong, MD, FRCPC
Le Dr Aaron Wong est le directeur du programme de résidence du département de dermatologie et des sciences de la peau de l’Université de la Colombie-Britannique. Il est professeur adjoint d’enseignement clinique. Sa clinique est située à l’hôpital Saint-Paul, où il concentre ses travaux sur les affections dermatologiques associées au VIH. Il a également un cabinet en milieu communautaire à New Westminster, en Colombie-Britannique.
Actualité Dermatologique au Canada, Volume 1, Numéro 2, Avril 2020
Étude de cas : Homme de 30 ans, séropositif au VIH, atteint de psoriasis
Un homme de 30 ans qui présente des antécédents avérés de psoriasis vous consulte à votre clinique de dermatologie. Le patient a contracté le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), son état de santé est bien contrôlé par un nouveau traitement antirétroviral (ARV) appelé BiktarvyMD. Sa charge virale est indétectable et sa numération des lymphocytes T CD4 est normale. Autrement, il est en bonne santé. Lors du bilan clinique, il mentionne que son partenaire est séronégatif au VIH et qu’il suit un traitement de prophylaxie préexposition (PrEP). Il a développé des taches brunes au visage et se demande si le PrEP peut en être la cause. Son partenaire souhaite également consulter un dermatologue.
Le patient commence à prendre un traitement par mousse topique contenant du calcipotriol et du dipropionate de bétaméthasone. La photothérapie l’intéresse.
Lorsque vous prenez connaissance des données sur BiktarvyMD, vous vous rendez compte qu’il provoque des « éruptions » et vous vous interrogez sur les interactions avec l’acitrétine, la cyclosporine ou le méthotrexate. BiktarvyMD est composé de bictégravir, d’emtricitabine et de ténofovir alénamide, mais il ne contient pas de ritonavir.
Le VIH et sa prise en charge ont considérablement évolué depuis 30 ans. Le virus peut être complètement supprimé par un traitement antirétroviral (ARV), anciennement connu sous le nom de traitement antirétroviral hautement actif (TAHA). Des études par cohortes menées en Europe et en Amérique du Nord ont confirmé que l’accès aux ARV et l’instauration précoce du traitement permettent d’améliorer la survie et l’espérance de vie. Lorsqu’un patient a accès aux ARV, le traitement peut être instauré sans égard au seuil de sa numération des lymphocytes T CD4 ou de sa charge virale. Le traitement est généralement recommandé après l’établissement du diagnostic de VIH25.
Récapitulation des acronymes liés au VIH
Les réactions cutanées liées au VIH peuvent être attribuables à l’infection virale elle-même, soit une infection opportuniste (IO), au traitement pour combattre le virus ou aux IO elles-mêmes.
Le syndrome inflammatoire de reconstitution immunitaire (IRIS) est un phénomène par lequel la réponse inflammatoire visant à combattre un organisme infectieux est excessive, et qu’elle s’intensifie à mesure que l’immunité de l’hôte se rétablit (c.-à-d. augmentation du nombre de lymphocytes T auxiliaires ou CD4+) dans le cadre d’un traitement ARV. Les patients qui font l’objet d’un diagnostic à un stade plus avancé de l’infection au VIH sont plus vulnérables, ce qui se manifeste généralement sous la forme d’infections plus généralisées, comme des infections par le virus herpès simplex, le zona, des verrues, le molluscum, des infections à levure ou des infections par dermatophytes. Les séquelles non infectieuses comprennent le lupus, l’alopécie étendue ou la folliculite1.
Des essais comparatifs fiables, avec répartition aléatoire des sujets, portant sur la prophylaxie préexposition, ou PrPE, ont démontré l’efficacité du traitement d’association par fumarate de ténofovir disoproxil et emtricitabine (TDF-FTC ou TruvadaMD) dans la prévention de la transmission du VIH. Ce traitement a donc été homologué par Santé Canada pour cette indication2,3,4.
La prophylaxie post-exposition (PPE) peut être non professionnelle (nPPE) ou professionnelle. Le traitement d’association par fumarate de ténofovir disoproxil et emtricitabine (version générique ou comprimés de marque TruvadaMD) est également utilisé à cette fin. Les habitudes de vie et les interventions comportementales continuent à jouer un rôle essentiel dans la prévention de l’infection au VIH, et ce, même en présence de la PPE et de la PREP5.
Antirétroviraux – nouveaux et anciens
La thérapie antirétrovirale contre le VIH, combine les éléments suivants8 :
Le traitement antirétroviral a fait place à la combinaison de différents types d’ARV en un seul comprimé à prise uniquotidienne. Cette présentation plus pratique comprend notamment des médicaments de marque comme :
De nombreux traitements plus récents à prise uniquotidienne contiennent un inhibiteur nucléotidique de la transcriptase inverse (INTI), le ténofovir alafénamide (TAF) en l’occurrence, plutôt que du fumarate de ténofovir disoproxil (TDF). Le TAF présente des avantages par rapport au TDF, y compris une activation sélective au niveau cellulaire (alors que le TDF s’active dans le sang), une néphrotoxicité moindre et une diminution de la réduction de la densité minérale osseuse. Le TDF peut toutefois être associé à une élévation moindre du cholestérol et peut s’avérer bénéfique chez les personnes atteintes de dyslipidémie6,7.
Habituellement, les patients tolèrent bien leur traitement par ARV, de sorte que les effets muco-cutanés indésirables sont l’exception, plutôt que la règle. Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) appartiennent à la classe d’ARV le plus souvent associé à une toxicité cutanée, tout particulièrement les éruptions morbilliformes. Les éruptions morbilliformes se résorbent généralement, même si le traitement pharmacologique est maintenu. Par conséquent, les médecins peuvent traiter les éruptions cutanées lorsque les patients en expriment le souhait. La névirapine, en particulier, a été associée à des éruptions morbilliformes, à l’hypersensibilité aux médicaments et au syndrome de Stevens-Johnson / nécrolyse épidermique toxique (SJS/NET)9. Dans les pays en développement, la névirapine est souvent associée au SJS/TEN chez les patients atteints du VIH/SIDA. Les effets indésirables signalés comme étant des « éruptions cutanées » n’ont pas été clairement définis dans le cadre des essais cliniques qui ont servi de base à la mise en marché de ces médicaments. Par conséquent, la détermination des effets indésirables cutanés demeure imprécise pour un bon nombre de ces médicaments.
VIH et lipodystrophie
La lipodystrophie antirétrovirale se manifeste par divers changements dans la composition des graisses du corps et du visage. Des anomalies métaboliques accompagnent souvent la lipodystrophie, notamment une dyslipidémie et une mauvaise tolérance au glucose. La lipoatrophie se produit au niveau des coussinets adipeux temporaux et buccaux au visage, les membres et les fesses, tandis que la lipohypertrophie se produit dans l’abdomen, la région dorsocervicale (« bosse de bison ») et le tissu mammaire (gynécomastie). Au départ, ces résultats ont été attribués aux inhibiteurs de protéase (IP). Maintenant, ils sont toutefois fortement associés aux INTI, tout particulièrement la stavudine et la didanosine, ainsi qu’aux INNTI, comme l’éfavirenz10,11,13.
Interactions entre les médicaments inhibiteurs de protéase
Le ritonavir est un inhibiteur de la protéase qui stimule la fonction des autres IP par l’inhibition de la voie des cytochromes P450 3A4. Cette inhibition réduit la dégradation des autres IP, ce qui fournit ainsi l’effet « stimulant » susmentionné. Les autres médicaments métabolisés par cette voie, comme les corticostéroïdes et la cyclosporine, soit deux traitements utilisés relativement souvent en dermatologie, doivent être abordés avec prudence. Le syndrome de Cushing iatrogène (SCI) a été signalé en association des injections épidurales, intra-articulaires ou intramusculaires de 40 mg ou plus d’acétonide de triamcinolone. Aucun rapport publié ne fait toutefois état de cas associés à l’administration topique ou intralésionnelle de corticostéroïdes. Le syndrome iatrogène de Cushing a toutefois été associé à des stéroïdes topiques chez des patients qui n’étaient pas porteurs du VIH, de sorte que les effets du traitement par ritonavir ne doivent pas être ignorés14,15,16.Nous ne disposons actuellement d’aucune ligne directrice de pratique ni de données cliniques suggérant une dose sûre. Le prestataire qui prodigue des soins contre le VIH au patient devrait alors être consulté afin de déterminer si un autre régime thérapeutique non augmenté est conseillé lorsque le recours à un traitement intralésionnel est envisagé, surtout si la dose anticipée est élevée ou si des injections doivent être administrées régulièrement. Si un traitement intralésionnel est instauré, l’auteur suggère de diluer la dose d’acétonide de triamcinolone à 2,5 mg/ml ou moins, tout en maintenant la dose totale administrée à moins de 15 mg et en espaçant les injections de 8 à 12 semaines. Les patients qui présentent des signes de suppression surrénale ou de syndrome de Cushing iatrogène doivent faire l’objet de tests plus poussés.
La cyclosporine est également affectée par l’inhibition du cytochrome P450 3A4 induite par le ritonavir. Si son utilisation est requise, des doses réduites et une surveillance des concentrations de cyclosporine peuvent s’avérer nécessaires pour prévenir une toxicité. Les données pharmacocinétiques à notre disposition recommandent une réduction de 5 à 20 % de la dose quotidienne de cyclosporine. Cette réduction pose un problème parce que la dose de cyclosporine est déterminée en fonction du poids et qu’elle peut varier de 2 à 5 mg / kg, selon l’indication. Lorsque le ritonavir et la cyclosporine sont utilisés en même temps, le vieil adage « commencer lentement et y aller lentement » devrait être adopté, ainsi qu’une surveillance active de leurs concentrations17.
StribildMD contient du cobicistat, de l’elvitégravir, de l’emtricitabine et du ténofovir. Le cobicistat est également un inhibiteur du cytochrome P450 3A4 (CYP3A4) et des cas de suppression surrénale ont été signalés avec l’utilisation concomitante de corticostéroïdes administrés par inhalation, par voie intranasale ou par injections intra-articulaires18,19.
Autres médicaments systémiques et VIH
L’acitrétine est un rétinoïde immunorégulateur couramment utilisé chez les patients atteints de psoriasis qui sont séropositifs au VIH. Il n’est pas métabolisé par la voie du cytochrome P45020.
La documentation médicale publiée entre 1987 et 1995 fait état de résultats médiocres en matière d’innocuité ou d’infections opportunistes chez les patients séropositifs au VIH qui ont été traités par méthotrexate (MTX)21-24. Ces données précèdent toutefois l’avènement de l’utilisation courante des ARV chez les patients séropositifs au VIH. Par conséquent, les patients présentaient peut-être une infection au VIH mal contrôlée. Dans certains cas, les doses de méthotrexate étaient plus élevées que celles qui sont normalement utilisées en dermatologie. Le MTX peut être utilisé chez les patients qui présentent une infection au VIH bien contrôlée, à condition que des examens cliniques et des tests de laboratoire soient effectués régulièrement. Les vérificateurs en ligne des interactions médicamenteuses sont également utiles.
En bref
Les traitements contre le VIH ont beaucoup évolué et de nouvelles percées médicales laissent entrevoir des résultats encore meilleurs chez les patients. Il ne faut toutefois pas ignorer les effets cutanés indésirables associés aux médicaments existants et aux nouveaux traitements.
References
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