À propos de l’auteur

Anthony Mak, MD
Actualité Dermatologique au Canada, Volume 3, Numéro 1, Mars 2022
Inhibiteurs de l’IL-17 et le risque de tumeurs malignes
Introduction
L’ère moderne du traitement du psoriasis a offert aux dermatologues un éventail de médicaments systémiques leur permettant de traiter cette grave maladie inflammatoire de la peau. La plupart des patients atteints de psoriasis ont besoin d’un traitement et d’une prise en charge chroniques et, par conséquent, les données à long terme sur l’innocuité des médicaments sont de toute importance. Le risque de tumeurs malignes est une préoccupation majeure tant pour le dermatologue prescripteur que pour le patient psoriasique.
Les études sur l’association des agents systémiques couramment utilisés pour traiter le psoriasis et la survenue de tumeurs malignes ont déjà été examinées1. Par exemple, plusieurs rapports ont signalé la présence de lymphomes associés au virus d’Epstein-Barr chez des patients atteints de psoriasis et traités par méthotrexate. L’utilisation de la cyclosporine a été associée à un risque deux fois plus élevé de tumeur maligne en général et à un risque jusqu’à six fois plus élevé de carcinome épidermoïde (CE), en particulier. La photothérapie combinant le psoralène et les rayons ultraviolets A (PUVA) a été associée à un risque accru de cancers de la peau de type non-mélanome. Les inhibiteurs du facteur de nécrose tumorale alpha (TNFα) ont également été associés à un risque accru de CE et de lymphome. Étant donné l’introduction relativement récente de nouveaux agents biologiques, tels que les inhibiteurs de l’IL-17, ces médicaments ne disposent que de données limitées sur le risque de tumeur maligne.
Inhibiteurs de l’IL-17
La famille de cytokines IL-17 englobe l’IL-17A à l’IL-17F et intervient dans de nombreux aspects de la défense immunitaire et de la fonction de régulation2. Des taux accrus d’IL-17 contribuent au développement du psoriasis en induisant la synthèse de peptides antimicrobiens et en médiant la formation de cytokines prolifératives et pro-inflammatoires qui perturbent le renouvellement des kératinocytes2. L’inhibition de l’IL- 17 par des anticorps monoclonaux ciblés est une approche thérapeutique efficace du psoriasis, de l’arthrite psoriasique et de la spondylarthrite ankylosante. Les agents anti-IL-17 actuellement approuvés sont deux anticorps monoclonaux anti-IL-17A, le sécukinumab et l’ixékizumab, ainsi que l’anticorps monoclonal anti-récepteur d’IL-17, le brodalumab. Cet article donne une vue d’ensemble plus précise des analyses récemment publiées sur le risque de tumeur maligne chez les patients atteints de psoriasis, d’arthrite psoriasique (AP) et de spondylarthrite ankylosante (SpA) traités par des inhibiteurs de l’IL-17. Le lecteur pourra comprendre la difficulté à effectuer des comparaisons indirectes entre les traitements par sécukinumab, ixékizumab et brodalumab quant au risque de tumeur maligne en raison des différences inhérentes à la conception des études sur ces agents.
Risque de tumeur maligne chez les patients traités par inhibiteurs de l’IL-17 :
Sécukinumab
Le risque de tumeur maligne chez les patients atteints de psoriasis, d’AP et de SpA traités par le sécukinumab a été récemment présenté à partir des données regroupées issues de 49 essais cliniques et de la pharmacovigilance post-commercialisation3. Cette analyse regroupée portant sur 14 519 patients (10 685 atteints de psoriasis, 2523 atteints d’AP et 1311 atteints de SpA), qui représente environ 24 000 années-patients de traitement (APT), inclut des patients suivis jusqu’à un maximum de cinq ans, la durée moyenne de suivi des patients sous sécukinumab étant de 1,54 année pour le psoriasis, de 1,96 année pour l’AP et de 2,03 années pour la SpA.
Les auteurs ont évalué l’innocuité en utilisant les taux d’incidence ajustés à l’exposition (EAIR; nombre de cas de tumeur maligne par temps total d’exposition) pour rendre compte de leurs résultats. L’EAIR des tumeurs malignes était de 0,85 pour 100 APT [intervalle de confiance (IC) de 95 % 0,74- 0,98] chez les patients traités par sécukinumab, ce qui correspond à 204 patients pour 23 908 APT. Les tumeurs malignes les plus fréquentes étaient le carcinome basocellulaire (CBC) (58 cas par 23 988 APT équivalent à un EAIR de 0,24 pour 100 APT), le cancer du sein, le cancer de la prostate, le carcinome épidermoïde et le cancer de la thyroïde. Par comparaison avec une population de référence extérieure (population générale des États-Unis), les auteurs ont déterminé que le nombre de tumeurs malignes observé p/r au nombre de tumeurs prévu sur la base des données des essais cliniques évaluant le sécukinumab était comparable, comme l’indique le rapport d’incidence standardisé (RIS) de 0,99 (IC de 95 % 0,82- 1,19) pour toutes les indications.
Au total, 242 (1,7 %) des patients qui participaient aux essais cliniques présentaient des antécédents lointains de tumeur maligne remontant à plus de 5 ans (les patients atteints d’une tumeur maligne avérée au cours des 5 années précédant la sélection ont été exclus, à quelques exceptions près). D’après les données regroupées des essais cliniques, 25 patients avaient fait l’objet d’une récidive de tumeur maligne, dont 18 récidives sur 25 étaient des cancers de la peau de type non-mélanome et 3 récidives sur 25 étaient des mélanomes. Les auteurs ont également communiqué des données de pharmacovigilance post-commercialisation pour les patients traités par sécukinumab (données cumulées entre 2014 et 2018). Dans l’analyse de la pharmacovigilance post-commercialisation, ils ont estimé un taux de déclaration de tumeurs malignes de 0,27 pour 100 APT, avec une exposition cumulée au sécukinumab de 285 811 APT.
Ixékizumab
Récemment, les données relatives à l’innocuité de l’ixékizumab issues de 13 essais cliniques regroupés ont été présentées sur la base d’environ 17 000 années-patients d’exposition à cet anticorps monoclonal et 5898 patients traités par au moins une dose d’ixékizumab pour un psoriasis modéré à grave4. Il faut noter que 2749 patients avaient été exposés ≥ 4 ans à l’ixekizumab.
Au total, 51 des 5898 patients (0,9 %) ont développé un cancer de la peau de type non-mélanome, dont 42 (0,7 %) étaient des CBC et 12 (0,2 %) des CE, ce qui correspondait à un taux d’incidence de 0,3 pour les cancers de la peau de type non-mélanome (Tableau 1). Les auteurs soulignent que le taux d’incidence des cancers de la peau de type non-mélanome chez les patients traités par ixékizumab était légèrement inférieur aux taux associés aux inhibiteurs du TNFα, tels que l’étanercept et l’adalimumab, ainsi qu’au taux associé à l’inhibiteur des IL-12/23, l’ustékinumab. Hormis les cancers de la peau de type non-mélanome, des tumeurs malignes sont apparues chez 86 des 5898 patients (1,5 %) et comptaient pour un taux d’incidence de 0,5. Dans le cadre de cette analyse, la tumeur la plus signalée a été le cancer de la prostate (n = 12), avec un taux d’incidence de 0,1 pour 100 années-patients chez les hommes. Les conclusions de cette analyse groupée des tumeurs malignes, autres que les cancers de la peau de type non-mélanome, chez les patients traités par ixékizumab vont dans le même sens que les résultats relatifs aux taux de tumeurs malignes observés dans d’autres études à long terme qui évaluaient l’étanercept, l’adalimumab et l’ustékinumab.

Tableau 1 : TI taux d’incidence, N nombre total de patients, n nombre de patients dans
la catégorie, CPNM cancer de la peau de type non-mélanome
Les taux d’incidence sont exprimés en 100 années-patients
Calculés chez les hommes seulement; N = 4000 hommes avec 11 714, 2 années-patients
d’exposition
Une étude subséquente menée par Genovese et al.5 a élargi l’analyse groupée initiale afin d’inclure des essais cliniques sur l’ixékizumab disposant de données sur l’AP (4 essais cliniques) et la spondylarthrite axiale (4 essais cliniques), représentant un total de 8228 patients pour 20 896 années-patients cumulées d’exposition à l’ixékizumab. Selon l’analyse des populations de ces essais cliniques, les taux d’incidence des tumeurs malignes chez les patients atteints d’arthrite et traités par ixékizumab étaient comparables à ceux des patients atteints de psoriasis uniquement (TI ≤ 0,8).
Brodalumab
Les analyses des données regroupées de quatre essais cliniques ont mis en évidence des taux de tumeurs malignes chez les patients traités par brodalumab pour un psoriasis modéré à grave6. La présente analyse a porté sur un groupe de 4464 patients présentant une durée moyenne d’exposition de 23,3 mois et un total de 9174 années-patients de suivi. Le taux d’événements ajusté au temps pour le cancer de la peau de type non-mélanome était de 0,6 pour 100 années-patients. Pour les tumeurs malignes autres que le cancer de la peau de type non-mélanome, le taux d’événements ajusté au temps dans le cadre du suivi était de 0,4 pour 100 années-patients, et la tumeur la plus fréquente était le cancer de la prostate. Ces taux d’événements sont conformes aux taux de tumeurs malignes observés chez les patients atteints de psoriasis traités par d’autres inhibiteurs de l’IL-17.
Une analyse des données de pharmacovigilance rapportées par les patients et les professionnels de la santé américains entre le 15 août 2017 et le 14 août 2019 a permis de rédiger un rapport résumant la situation réelle aux États-Unis7. Cette analyse relative aux données collectées sur deux années portait sur 2677 patients ayant pris le brodalumab, avec une exposition cumulée au traitement de 1656 années-patients. L’analyse de ces données de pharmacovigilance a révélé un taux de tumeurs malignes de 0,9 événement pour 100 années-patients, dont aucun n’a été considéré comme lié au brodalumab.
Discussion
Le manque d’essais contrôlés randomisés établissant des comparaisons directes entre les différents inhibiteurs de l’IL-17 en termes de taux de tumeurs malignes représente un élément important dans l’interprétation des données de cette analyse groupée. De plus, la durée moyenne de suivi dans ces analyses varie de 1,9 an à 3,2 ans. Par conséquent, il n’est pas possible de déterminer le risque d’augmentation des taux de tumeurs malignes au-delà de ces périodes d’évaluation. Ceci souligne la nécessité de registres de patients et d’études de pharmacovigilance concernant les populations en situation réelle afin de mieux suivre les patients en dehors du cadre des essais cliniques.
En outre, les données démographiques initiales des populations participant aux essais et incluses dans ces analyses ne nous permettent pas de transposer aisément les enseignements à la pratique clinique. Par exemple, l’âge relativement jeune des patients de ces analyses groupées (âge moyen des données groupées issues des essais : 57,8 ans pour le sécukinumab, 45,8 ans pour l’ixékizumab et 44,8 ans pour le brodalumab), peut être un facteur de confusion quant au risque de cancer dans une population où on ne s’attendrait pas à observer des taux de tumeurs malignes de novo élevés au départ. Enfin, les données de ces analyses proviennent principalement d’une population de race blanche (pourcentage des données regroupées des essais : 94 % pour le sécukinumab, 88 % pour l’ixékizumab et 90 % pour le brodalumab), ce qui ne tient pas pleinement compte du risque potentiel de tumeurs malignes lié au traitement par inhibiteur de l’IL- 17 chez les patients de différentes couleurs de peau.
Cet article donne un aperçu général des analyses publiées sur le risque de tumeurs malignes attribuable aux inhibiteurs de l’IL-17. Le psoriasis lui-même contribue à une légère augmentation du développement des cancers de la peau de type non-mélanome et de lymphomes8, et les recherches en cours continuent de démontrer un risque accru d’autres affections malignes. Même si cela est exclu des essais cliniques, le fait est que les praticiens en dermatologie d’aujourd’hui rencontrent inévitablement des patients atteints de tumeurs malignes récemment diagnostiquées, en rémission ou en rechute. Bien qu’il y ait eu des rapports de cas et des séries de cas sur l’utilisation d’inhibiteurs de l’IL- 17 chez des patients atteints de tumeurs malignes9, aucune étude de grande envergure n’a été menée sur l’utilisation d’agents biologiques dans le traitement de patients atteints de psoriasis et de tumeurs malignes évolutives. En fin de compte, les considérations sur les risques et avantages sont centrées sur le patient, avec la nécessité d’équilibrer le risque de progression et de récidive de la tumeur maligne, et de traiter le psoriasis grave et incapacitant dans l’espoir d’améliorer la qualité de vie du patient.
La poursuite de l’évaluation du risque de tumeur maligne à long terme lié aux inhibiteurs de l’IL-17, et d’autres molécules biologiques, aidera les praticiens à mieux traiter les patients atteints de psoriasis, d’arthrite psoriasique et de la spondylarthrite ankylosante, et peut-être d’autres maladies inflammatoires.
Références :
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3. Lebwohl M, Deodhar A, Griffiths CEM, et al. The risk of malignancy in patients with secukinumab-ttreated psoriasis, psoriatic arthritis and ankylosing spondylitis: analysis of clinical trial and postmarketing surveillance data with up to five years of follow-up. British Journal of Dermatology. 2021;185(5):935-944. doi:10.1111/bjd.20136
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7. Lebwohl M, Leonardi C, Wu JJ, et al. Two-Year US Pharmacovigilance Report on Brodalumab. Dermatology and Therapy. 2021;11(1):173-180. doi:10.1007/s13555-020-00472-x
8. Mastorino L, Dapavo P, Avallone G, et al. Biologic treatment for psoriasis in cancer patients: should they still be considered forbidden? The Journal of Dermatological Treatment. Published online August 30, 2021: 1-8. doi:10.1080/09546634.2021.1970706
9. Bellinato F, Gisondi P, Maurelli M, Girolomoni G. IL-17A inhibitors in patients with chronic plaque psoriasis and history of malignancy: a case series with systematic literature review. Dermatologic Therapy. Published online February 17, 2021. doi:10.1111/dth.14889