Aller au contenu

À propos de l’auteur

Headshot_Richer

Vincent Richer, MD, FRCPC

Le Dr Vincent Richer pratique la dermatologie médicale et cosmétique à la clinique Pacific Derm à Vancouver. Il occupe les postes de professeur adjoint en clinique et de directeur de la formation médicale continue au département de dermatologie et de sciences de la peau de l’Université de la Colombie-Britannique. Il a reçu sa formation en médecine et en dermatologie à l’Université de Montréal. Il a ensuite obtenu une bourse de recherche en photobiologie et en chirurgie au laser cutanée à l’Université de la Colombie-Britannique.

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 2, Numéro 3, Août 2021

Injections contre les cicatrices : au-delà de l’acétonide de triamcinolone

Introduction 

Les cicatrices pathologiques, notamment les cicatrices hypertrophiques et les chéloïdes, sont à la fois gratifiantes et difficiles à traiter en pratique clinique. Au-delà de l’aspect esthétique et du rappel physique des circonstances ayant mené à la formation de la cicatrice (Figure 1), les patients peuvent également ressentir des démangeaisons, de la douleur, voire une atteinte à leur capacité fonctionnelle. À bien des égards, la multitude d’options thérapeutiques disponibles souligne qu’il n’existe pas de paramètre thérapeutique mondialement accepté pour ce scénario clinique.   

Figure 1. Gros plan de cicatrice chéloïdienne sur la peau d’un homme; photo gracieuseté de Vincent Richer, MD

Les modalités de traitement comprennent les injections, la cryothérapie, la chirurgie et les traitements par dispositifs faisant appel à de l’énergie, comme les lasers ou les radiations 1. L’administration de médicament assistée par laser (LADD), qui consiste à atténuer les cicatrices à l’aide d’un laser ablatif fractionné de faible densité suivi de l’application immédiate d’un agent topique, est associée à d’excellents résultats2-4. Cette approche nécessite toutefois une technologie qui n’est peut-être pas aussi largement disponible ou remboursée au même niveau que ne le sont les traitements par injections. L’objectif de cet article est de fournir une vue d’ensemble des options thérapeutiques par injections avec des médicaments accessibles pour atténuer les cicatrices pathologiques, en pensant tout particulièrement aux dermatologues dont le cabinet ne dispose pas de la technologie ou des dispositifs de pointe requis pour ce type de traitement. 

Acétonide de triamcinolone 

L’administration intralésionnelle d’acétonide triamcinolone (TAC) est couramment utilisée pour atténuer les cicatrices pathologiques. L’acétonide de triamcinolone est facilement accessible en pharmacie et peu coûteux. De plus, son utilisation ne nécessite pas de technologie spécialisée. Une revue systématique et une méta-analyse de quinze essais ont confirmé récemment son efficacité dans le traitement visant à atténuer les cicatrices hypertrophiques et les chéloïdes5. Malheureusement, le TAC peut induire l’apoptose des fibroblastes et l’atrophie du collagène dans la peau normale adjacente. Les effets secondaires potentiels des injections de TAC comprennent une atrophie, des télangiectasies, une hypopigmentation ou des récurrences au fil du temps. Une récurrence des cicatrices, tout particulièrement les chéloïdes, peut être observée aussi fréquemment que dans 50 % des cas6. Adapter la concentration de TAC en fonction du type de peau du patient, de la taille de la cicatrice et de son emplacement est une stratégie qui peut contribuer à atténuer l’atrophie. De manière empirique, dans la pratique de l’auteur, la première injection de TAC dans la cicatrice est effectuée avec une concentration variant entre 5 et 20 mg/cc. De faibles concentrations sont utilisées chez les patients présentant les phototypes cutanés de type V et VI selon la classification de Fitzpatrick et chez ceux présentant un risque plus élevé d’hypopigmentation, ainsi que pour le traitement des sites sensibles sur le plan cosmétique (visage, décolleté). Il est recommandé d’observer attentivement la cicatrice tout en effectuant une injection très lentement. Cette attention particulière a pour objet de minimiser la douleur et de permettre l’arrêt de l’injection avant toute extravasation de TAC à la peau saine environnante. Les patients reçoivent des injections tous les 4 à 6 semaines, et la concentration de TAC peut être ajustée au moment de l’administration. Ainsi, en l’absence d’effet indésirable, la concentration peut être augmentée si la réponse clinique était modeste. Si des signes précoces d’atrophie environnante sont observés et que la cicatrice doit encore être traitée, une concentration plus faible de TAC peut être utilisée. 

5-fluorouracil 

L’agent chimiothérapeutique 5-fluorouracil (5-FU) est un analogue de la pyrimidine qui inhibe la synthèse de l’acide désoxyribonucléique en inhibant la thymidine synthase, mettant ainsi un terme à la prolifération des fibroblastes et du réseau de collagène alimenté par les fibroblastes7. Le 5-FU est offert sur le marché en flacons à usage unique de 10 mL et en flacons « en vrac » de 100 mL. Lorsqu’il est utilisé en monothérapie, le 5-FU est tout aussi efficace que le TAC pour réduire l’épaisseur des cicatrices, mais l’amélioration à long terme n’est pas aussi bonne par rapport à la vascularisation des cicatrices5. De plus, l’injection de 5-FU en monothérapie peut intensifier la douleur et former des ulcères. Il est généralement recommandé d’éviter d’injecter plus de 2 cc (par exemple 100 mg) par séance pour éviter une exposition systémique et la manifestation de symptômes importants. Bien que l’utilisation intralésionnelle de 5-FU et de TAC en monothérapie se soit avérée efficace, leurs effets synergiques combinés suscitent un intérêt croissant. 

Association d’acétonide de triamcinolone et de 5-fluorouracil 

Comparativement au TAC en monothérapie, on observe une amélioration considérable quant à la taille, la souplesse et la pigmentation des cicatrices avec l’utilisation de TAC en association avec 5-FU. De plus, une prolongation de la réponse à long terme (plus de 24 semaines) a été notée avec ce traitement d’association, par rapport au TAC en monothérapie, ce qui suggère que le taux de récurrence des cicatrices est moins élevé5. De nombreuses associations de dose et d’intervalles thérapeutiques ont été analysées, mais il n’existe actuellement aucun consensus sur aucun d’entre eux. Il est probable que le type de peau, la taille et l’emplacement de la cicatrice sont tous des facteurs qui influent sur la stratégie posologique. De manière empirique, dans la pratique de l’auteur, jusqu’à 2 mL de 50 mg/mL de 5-FU sont utilisés pour diluer le TAC jusqu’à la concentration souhaitée. Les patients reçoivent des injections tous les 4 à 6 semaines. La dilution de TAC peut être aussi faible que 2,5 à 3,3 mg/mL pour le traitement initial contre des chéloïdes de petite taille dans des sites présentant un risque d’atrophie iatrogène (p. ex. la région présternale). La concentration de TAC peut être augmentée lors de traitements ultérieurs ou initiée à une dose variant de 5 à 20 mg/mL contre les chéloïdes de plus grosse taille lorsqu’ils sont présents sur des sites anatomiques plus indulgents (p. ex. l’hélix)7. Les injections doivent être administrées lentement pour minimiser la douleur jusqu’à ce que la cicatrice apparaisse temporairement blanchie. Les cliniciens doivent prendre soin d’interrompre l’injection si la diffusion s’étend à la peau normale adjacente. 

Toxine botulinique de type A 

La toxine botulinique de type A (BTX-A) est une neurotoxine qui agit sur les neurones pour inhiber la libération d’acétylcholine, laquelle inhibe à son tour la contraction musculaire. La BTX-A coûte plus cher que le TAC, mais elle est largement disponible et stockée par de nombreux dermatologues qui proposent des services cosmétiques. Les dermatologues connaissent bien ses propriétés cosmétiques pour atténuer les rides dynamiques et ses indications médicales, comme l’hyperhidrose primaire. Par contre, ils ne savent peut-être pas qu’elle peut également réduire les stimuli inflammatoires en cause dans la cicatrisation des plaies, ce qui affecte la formation de cicatrices8. De plus, le BTX-A peut réguler directement l’activité des fibroblastes en modifiant l’apoptose, la migration et la fibrose6. Puisque les cicatrices hypertrophiques et les chéloïdes se développent dans des zones où la tension cutanée est élevée, il est logique que de déduire qu’une réduction de cette tension dans la peau environnante, par relaxation du tissu musculaire, puisse être bénéfique. Une étude systématique et une méta-analyse ont conclu récemment que le BTX-A était plus efficace que la solution saline pour prévenir les cicatrices faciales post-chirurgicales8. Le recours à la monothérapie par BTX-A pour atténuer les cicatrices pathologiques a fait l’objet d’études, et les résultats semblent favorables par rapport au TAC6. La posologie et la séquence thérapeutique mentionnées dans la documentation médicale sont toutefois très hétérogènes. 

Association d’acétonide de triamcinolone et de toxine botulique de type A 

Une méta-analyse en réseau effectuée récemment a révélé que le traitement d’association par toxine botulinique de type A et TAC avait l’efficacité prédictive la plus élevée, suivi du traitement d’association par TAC et 5-FU6. Une analyse plus poussée révèle que cette observation repose sur une poignée d’études qui ont comparé le traitement d’association par BTX-A à l’un ou l’autre des traitements en monothérapie9. Les données probantes à l’appui du traitement par BTX-A en monothérapie sont encourageantes, et l’ajout de la BTX-A en association avec TAC ou TAC + 5-FU est une option thérapeutique viable. Comme mentionné précédemment, la posologie et la séquence thérapeutique optimales du traitement par BTX-A pour atténuer les cicatrices pathologiques n’ont pas été déterminées. De manière empirique, dans la pratique de l’auteur, 2 unités de toxine onabotulique de type A sont injectées par cm2 de cicatrice, avec des points d’injection dépassant la périphérie de la cicatrice. Le traitement est effectué immédiatement après l’injection de TAC ou de l’association TAC + 5-FU, au cours de la même visite.

Autres médicaments injectables pour atténuer les cicatrices 

Le vérapamil a également fait l’objet de nombreuses études sur les traitements visant à atténuer les cicatrices pathologiques. Il semble avoir une efficacité comparable à celle de TAC en ce qui a trait à la réduction de la taille des cicatrices au fil du temps, mais il n’est peut-être pas aussi efficace par rapport à la vascularisation et à la souplesse des cicatrices5. Dans la méta-analyse en réseau mentionnée précédemment, le vérapamil présentait le rang le plus faible en matière d’efficacité, par rapport aux options thérapeutiques ci-dessus6. Le corpus de données probantes qui appuie l’utilisation de la bléomycine, de l’acide hyaluronique, de l’hyaluronidase, du plasma riche en plaquettes ou de la collagénase est toutefois moins convaincant et dépasse le cadre de cet article1.

Injections contre les cicatrices vs administration de médicament assistée par laser 

Avec l’avènement de LADD, les traitements injectables contre les cicatrices ont-ils été totalement supplantés? Un grand nombre d’articles évalués par des pairs comparent l’efficacité du laser fractionné ablatif (AFLX) seul à l’AFLX en association avec LADD2. Les données comparant les injections intralésionnelles (IL) à LADD sont rares. Une recension de la documentation médicale n’a permis de trouver que deux études comparant les injections IL à LADD. Abd El- Dayem et coll.10 ont comparé 4 séances de traitement IL par TAC administré à 4 semaines d’intervalle à l’administration fractionnée de bétaméthasone topique assistée par Er:YAG dans 30 chéloïdes. Bien que les deux traitements aient été associés à une amélioration significative trois mois après le dernier traitement, aucune différence significative n’a été observée entre les résultats. Par ailleurs, bien que l’incidence de télangiectasie, d’atrophie dermique et de dépigmentation ait été plus élevée chez les sujets traités par IL TAC, cette différence n’était pas statistiquement significative. Sabry et coll.11 ont comparé des traitements par IL BTX-A administrés mensuellement pendant quatre mois consécutifs à quatre séances d’administration fractionnée assistée par CO2 de BTX-A topique dans 10 chéloïdes et 10 cicatrices hypertrophiques. Dans le groupe des sujets présentant des cicatrices hypertrophiques, les deux traitements ont été associés à une amélioration globale significative lors du suivi à six mois, mais cette amélioration était plus importante du côté traité par LADD que du côté traité par IL. Fait intéressant, dans le groupe de sujets présentant des chéloïdes, les injections d’IL ont été associées à un meilleur résultat par rapport à LADD de BTX-A en ce qui a trait à la vascularité et à la souplesse. Les limites de ces études incluent la petite taille de l’échantillon ainsi que la notation par des évaluateurs qui connaissaient quel traitement avait été administré. Bien que ces deux études aident à soutenir le rôle de LADD dans la prise en charge des cicatrices pathologiques et à élucider potentiellement un meilleur profil d’innocuité par rapport aux injections IL de TAC, elles ne remettent pas en question le rôle des injections visant à masquer les cicatrices. 

Conclusion 

Parmi les nombreuses options thérapeutiques disponibles pour traiter les cicatrices pathologiques, le recours aux injections visant à les masquer est très accessible et ne nécessite aucune technologie spécialisée. Bien que le TAC soit le plus couramment utilisé pour les injections visant à masquer les cicatrices, des études ont porté sur l’utilisation de 5-FU et de BTX-A en monothérapie ou en association avec le TAC. Notamment, la durée de la réponse au traitement pourrait être plus longue avec l’association TAC et 5-FU. Le 5-FU et le BTX-A présentent tous deux l’avantage supplémentaire de réduire le risque d’atrophie cutanée associé à une concentration élevée de TAC. L’association de 5-FU et/ou de BTX-A au TAC pourrait s’avérer efficace contre les cicatrices pathologiques tout en maintenant des concentrations plus faibles de TAC, ce qui réduirait les effets secondaires. D’autres essais avec répartition aléatoire sont nécessaires pour optimiser davantage les traitements d’association par injections visant à atténuer les cicatrices et pour orienter l’allocation des ressources. 

 

Références 

1. Limmer EE, Glass DA. A review of current keloid management: Mainstay monotherapies and emerging approaches. Dermatol Ther (Heidelb). 2020;10(5):931-948. 

2. Truong K, Prasidha I, Wain T. A systematic review of randomised controlled trials investigating laser assisted drug delivery for the treatment of keloid and hypertrophic scars. Lasers Med Sci. 2021;doi:10.1007/s10103-021- 03296-z. Online ahead of print. 

3. Waibel JS, Rudnick A, Shagalov DR, Nicolazzo DM. Update of ablative fractionated lasers to enhance cutaneous topical drug delivery. Adv Ther. 2017;34(8):1840-1849. 

4. Waibel JS, Wulkan AJ, Rudnick A, Daoud A. Treatment of hypertrophic scars using laser-assisted corticosteroid versus laser-assisted 5-fluorouracil delivery. Dermatol Surg 2019;45(3):423-430. 

5. Zhuang Z, Li Y, Wei X. The safety and efficacy of intralesional triamcinolone acetonide for keloids and hypertrophic scars: A systematic review and meta-analysis. Burns. 2021;24:S0305- 4179(21)00049-8. 

6. Sun P, Lu X, Zhang H, Hu Z. The efficacy of drug injection in the treatment of pathological scar: A network meta-analysis. Aesthetic Plast Surg. 2021;45(2):791-805. 

7. Zhou LL, Richer V. Treating keloids with intralesional 5-fluorouracil and triamcinolone acetonide: Aren’t we there yet? J Cutan Med Surg. 2020;24(2):205-206. 

8. Qiao Z, Yang H, Jin L, Li S, Wang X. The Efficacy and Safety of Botulinum Toxin Injections in Preventing Postoperative Scars and Improving Scar Quality: A Systematic Review and Meta- Analysis. Aesthetic Plast Surg. ePub 2021 Mar 5. 

9. Gamil HD, Khattab FM, El Fawal MM, Eldeep SE. Comparison of intralesional triamcinolone acetonide, botulinum toxin type A, and their combination for the treatment of keloid lesions. J Dermatolog Treat. 2020;31(5):535-544. 

10. Abd El-Dayem DH, Nada HA, Hanafy NS, Elsaie ML. Laser-assisted topical steroid application versus steroid injection for treating keloids: A split side study. J Cosmet Dermatol. 2021;20(1):138-142. 

11. Sabry HH, Ibrahim EA, Hamed AM. Assessment of laser-assisted delivery vs intralesional injection of botulinum toxin A in treatment of hypertrophic scars and keloids. Dermatol Ther. 2020;33(6):e13980.