À propos de l’auteur

Jennifer Beecker, MD
La Dre Beecker est dermatologue à l’hôpital d’Ottawa et professeure adjointe à l’Université d’Ottawa. Dermatologue agréée par le Collège royal et l’American Board of Dermatology, elle a reçu une formation et obtenu une agrégation dans trois spécialités médicales, soit la dermatologie, la médecine d’urgence et la médecine familiale. Elle s’intéresse notamment à la dermatologie médicale, aux lésions pigmentées, à la dermatologie nosocomiale et à la recherche. Elle est directrice de la recherche de la Division de dermatologie de l’Hôpital d’Ottawa. La Dre Beecker a fondé la Clinique des lésions pigmentées et des mélanomes de l’Hôpital d’Ottawa, où elle effectue le suivi pour détecter des mélanomes chez des patients particulièrement vulnérables, en faisant appel à la dermatoscopie numérique et la photographie du corps entier. La Dre Beecker est vice-présidente du conseil d’administration de l’Association canadienne de dermatologie. Elle forme des médecins résidents et des étudiants en médecine et siège au comité de direction responsable de l’examen en dermatologie du Collège royal des médecins et chirurgiens.
Actualité Dermatologique au Canada, Volume 1, Numéro 3, Juillet 2020
Mise à Jour et Analyse à Propos des Mélanomes : Stadification Selon L’ajcc et Traitement Adjuvant
Puisque les directives médicales évoluent rapidement, il est important que les dermatologues connaissent les recommandations à jour en matière de prise en charge des maladies. Cet article de synthèse met en évidence ce que le dermatologue clinicien « doit connaître » au sujet de la stadification, des recommandations relatives à la biopsie des ganglions sentinelles et des nouvelles options thérapeutiques, y compris les thérapies adjuvantes pour la prise en charge des patients atteints d’un mélanome.
Mise à jour de l’AJCC
En 2016, l’American Joint Committee on Cancer (AJCC) a fait un ajout à ses lignes directrices sur la stadification, pour y inclure de nouveaux facteurs pronostiques fondés sur des données probantes. En janvier 2018, la 8e édition de l’AJCC a été mise en œuvre et, peu après, le National Comprehensive Cancer Network (NCCN) a révisé ses lignes directrices concernant la prise en charge des mélanomes. Celles-ci ont été mises à jour une fois de plus en mars 2019 (et plus récemment en mai 2020)2. De nouvelles classifications de stades ont été produites, puisque les versions précédentes portaient sur des patients traités avant que les biopsies des ganglions sentinelles ne soient routinières. Dans la 7e édition de l’AJCC, les stades I et II comprenaient probablement des patients atteints d’une maladie microscopique occulte régionale. Leur pronostic de survie était donc moins favorable. Dans la 8e édition, une nouvelle définition a été utilisée pour la stadification des tumeurs T1a et T1b, et des changements significatifs ont été apportés au corpus des données du stade III1. Certaines des modifications apportées à la 8e édition de l’AJCC figurent dans le tableau 1 ci-dessous.
Fait important pour les dermatologues, il leur est maintenant recommandé de discuter d’une biopsie des ganglions sentinelles avec tous les patients, sauf au stade T1a (< 0,8 mm sans ulcération) ou d’une maladie in situ. Il convient de noter que la régression histologique n’est pas mentionnée dans la 8e édition des lignes directrices de l’AJCC et qu’elle n’est pas considérée comme une indication justifiant la biopsie d’un ganglion sentinelle lorsque le mélanome est mince1. Quant au bilan clinique du mélanome, aucun test d’imagerie n’est indiqué au stade 0, au stade I ou au stade IIA, en raison à la fois du taux élevé de faux positifs et de l’absence d’effet positif sur le traitement, l’évolution ou la survie1,2.
De plus, l’essai MSLT-2 (NCT00297895) a révélé qu’il n’y a pas d’avantages pronostiques à effectuer une dissection complète des ganglions lymphatiques lorsque la biopsie des ganglions sentinelles d’un patient est positive3. Bon nombre de ces patients font l’objet d’une observation par échographies en série du bassin ganglionnaire tous les 3 mois pendant 2 ans, puis tous les 6 mois pendant 3 ans.
Bien qu’il n’ait pas été démontré qu’en elle-même la biopsie du ganglion sentinelle puisse améliorer la survie associée à cette maladie, un résultat positif fait passer le patient au stade III. Il est toujours recommandé de procéder à une biopsie des ganglions sentinelles (T1b ou plus) pour obtenir d’importantes informations concernant la stadification et le pronostic et pour faciliter la prise de décision concernant la thérapie adjuvante. Il a été démontré que la thérapie adjuvante prolonge la survie sans récurrence (SSR) et la survie globale (SG) au stade III chez certains patients particulièrement vulnérables8-14.
Comme on l’a mentionné ci-dessus, dans la 8e édition de l’AJCC, la phase III a été divisée et une nouvelle catégorie a été ajoutée pour inclure un groupe ayant un pronostic plus défavorable : stade IIID pour les tumeurs épaisses et ulcérées (T4b+N3c-c) avec survie à 5 ans de 32 % (Figure 1)1.

Figure 1. Kaplan-Meier Melanoma-Specific Survival Curves According to Stage III, Subgroups; American Joint Committee on Cancer, 8e édition, Edition Cancer Staging Manual 1
Que doit savoir un dermatologue au sujet du traitement systémique?
Les thérapies systémiques peuvent être réparties en deux grandes catégories, soit les traitements ciblés (TC) ou les agents immuno-oncologiques (IO). Malgré plusieurs homologations relativement récentes par Santé Canada pour les patients porteurs d’un mélanome, un pourcentage important des patients porteurs d’un tel mélanome à un stade avancé est toujours à la merci d’un risque de mortalité considérable. Nous sommes donc toujours en présence d’un besoin non satisfait en matière de traitements efficaces chez les patients porteurs d’un mélanome (Figure 2)1,4,5,6.

Figure 2. Kaplan-Meier, Courbes de survie spécifiques au mélanome en fonction du stade d’évolution chez les patients atteints d’un mélanome au stade I à III, tirées de la 8e édition de la base de données internationale sur le mélanome.
Thérapies systémiques
En 2011, l’ipilimumab a été homologué en monothérapie pour les patients porteurs d’un mélanome métastatique non résécable. Il s’agissait du premier de 7 nouveaux agents qui ont démontré une amélioration de la survie globale chez les patients porteurs d’un mélanome métastatique (Tableau 2).

Tableau 2 Thérapies homologuées au Canada pour le traitement des patients porteurs d’un mélanome métastatique
Thérapie adjuvante
La thérapie adjuvante est une stratégie visant à prévenir et à réduire la récurrence d’une maladie métastatique5. L’objectif du traitement adjuvant contre le mélanome est de fournir un remède potentiel avant la récurrence de la maladie et sa progression vers un stade avancé. La plupart des chimiothérapies traditionnelles se sont révélées inefficaces comme traitement adjuvant, et les thérapies systémiques (p. ex. inhibiteurs de points de contrôle, thérapies ciblées) sont maintenant des options thérapeutiques adjuvantes privilégiées en présence d’un mélanome à un stade avancé7.
La chirurgie est le traitement de prédilection contre les mélanomes localisés. Le risque de rechute après l’intervention est toutefois très élevé chez les patients présentant une atteinte ganglionnaire. Les patients porteurs d’un mélanome de stade IIB ou à un stade supérieur (TNM N > 0) présentent un risque élevé de récurrence et de décès lorsqu’ils sont traités uniquement par la chirurgie. La thérapie adjuvante convient aux patients qui ne présentent aucun signe de métastases macroscopiques, mais qui présentent un risque élevé de métastases microscopiques. La thérapie adjuvante est habituellement instaurée dans les semaines suivant l’intervention chirurgicale2,6,7.
Les thérapies systémiques, comme les traitements ciblés et les agents immuno-oncologiques, ont d’abord été étudiées et homologuées pour traiter les patients atteints d’une maladie de stade IV. À l’heure actuelle, la plupart des essais portant sur des adjuvants visent à améliorer la SSR et la SG chez les patients atteints d’une maladie au stade III1,2,8. On compte maintenant 3 traitements homologués par Santé Canada contre le mélanome chez les patients adultes présentant une atteinte des ganglions lymphatiques régionaux en tant que traitement adjuvant après une résection complète, soit nivolumab, pembrolizumab et l’association dabrafénib et tramétinib (Tableau 3).
L’interféron alpha 2b à forte dose est également homologué comme traitement adjuvant chez les patients porteurs d’un mélanome qui sont particulièrement vulnérables, mais il n’est plus utilisé en raison de sa faible efficacité et de sa toxicité élevée (15 ECRA et 3 méta-analyses, 7 % de survie absolue sans maladie et 3 % d’effet bénéfique global sur la survie). Les radiations sont utilisées pour réduire le risque de récurrence locale lorsqu’un tel risque est présent : ganglions lymphatiques multiples, gonflement des ganglions lymphatiques ou extension extra-nodale. Récemment, lors de sa réunion annuelle de 2020, l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) a effectué des mises à jour à la lumière des données obtenues dans le cadre d’essais pivots d’une durée de 3 à 5 ans qui étaient axés sur les thérapies adjuvantes (Tableau 4 et Tableau 5). Les données présentées à l’ASCO 2020 concernant les thérapies adjuvantes sur une période de 5 ans et de 3 ans sont rassurantes, car elles font état d’améliorations quant à la SSP et des signes laissant présager une meilleure SG.

Tableau 4 Essais pivots sur les mélanomes et les adjuvants SSMD = survie sans métastases à distance; SG = survie globale; SSR = survie sans rechute; ÉI = événement indésirable; QVLS = qualité de vie liée à la santé
Pourquoi les dermatologues devraient-ils connaître les thérapies adjuvantes?
Le paradoxe de Breslow
Il a été démontré que le nombre de décès est plus élevé chez les personnes porteuses d’un mélanome mince que chez les personnes porteuses d’un mélanome épais, et ce, en raison de leur nombre. Le risque absolu de mourir est toutefois plus élevé chez les personnes porteuses d’un mélanomes épais. En outre, tous les mélanomes minces ne se comportent pas de la même manière. Certains peuvent être facilement éradiqués à l’aide d’une intervention chirurgicale, alors que d’autres sont biologiquement agressifs et forment très rapidement des métastases15. À l’avenir, les cliniciens pourraient grandement bénéficier de diagnostics complémentaires qui les aideraient à déterminer quels sont les mélanomes minces biologiquement agressifs, afin que ces patients puissent bénéficier très tôt d’une thérapie adjuvante, soit aussi tôt qu’au stade II ou dès le
stade I. Ainsi, les dermatologues pourraient peut-être prescrire ces traitements plus fréquemment à l’avenir.
En résumé, nous observons une expansion rapide des données factuelles entourant le diagnostic et la prise en charge d’un mélanome, dont la stadification, le recours à la biopsie des ganglions sentinelles et l’utilisation de thérapies systémiques adjuvantes. Cette recension souligne les mises à jour les plus importantes pour l’exercice clinique au quotidien.
Références
1. Gershenwald, Jeffrey E., et al. “Melanoma staging: evidence-based changes in the American Joint Committee on Cancer eighth edition cancer staging manual.” CA: a cancer journal for clinicians 67.6 (2017): 472-492.
2. NCCN Clinical Practice Guidelines. Melanoma. V1.2017. http://www.nccn.org/ professionals/physician_gls/pdf/melanoma.pdf.
3. Faries, Mark B., et al. “Completion dissection or observation for sentinel-node metastasis in melanoma.” New England Journal of Medicine 376.23 (2017): 2211-2222.
4. Agarwala, Sanjiv S., and Steven J. O’Day. “Current and future adjuvant immunotherapies for melanoma: blockade of cytotoxic T-lymphocyte antigen-4 as a novel approach.” Cancer Treatment Reviews 37.2 (2011): 133-142.
5. Agha, Aya, and Ahmad A. Tarhini. “Adjuvant therapy for melanoma.” Current oncology reports 19.5 (2017): 36.
6. Tarhini, Ahmad A. “Adjuvant therapy for high-risk melanoma.” American Journal of Hematology/Oncology® 10.5 (2014).
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8. Long, Georgina V., et al. “Adjuvant dabrafenib plus trametinib in stage III BRAF-mutated melanoma.” New England Journal of Medicine 377.19 (2017): 1813-1823.
9. Weber, Jeffrey, et al. “Adjuvant nivolumab versus ipilimumab in resected stage III or IV melanoma.” New England Journal of Medicine 377.19 (2017): 1824-1835.
10. Eggermont, Alexander MM, et al. “Adjuvant pembrolizumab versus placebo in resected stage III melanoma.” New England Journal of Medicine 378.19 (2018): 1789-1801.
11. Hauschild A et al. Long-term benefit of adjuvant dabrafenib+ trametinib(D+T) in patients (pts) with resected stage III BRAF V600- mutant melanoma: five-year analysis of COMBI- AD. Presented at ASCO 2020.
12. Hauschild, Axel, et al. “Longer follow-up confirms relapse-free survival benefit with adjuvant dabrafenib plus trametinib in patients with resected BRAF V600–mutant stage III melanoma.” Journal of Clinical Oncology 36.35 (2018): 3441.
13. ESMO 2019: 3-Year Results From CheckMate238: Adjuvant Nivolumab vs Ipilimumab in Advanced Melanoma. https:// www.ascopost.com/news/october-2019/3- year-results-from-checkmate-238-adjuvant- nivolumab-vs-ipilimumab-in-advanced- melanoma/.
14. Eggermont AM et al. Pembrolizumab versus placebo after complete resection of high-risk stage III melanoma: new recurrence-free survival results from the EORTC 1325-MG/Keynote 054 double-blinded phase III trial at three-year median follow up. Presented at ASCO 2020.
15. Whiteman, David C., Peter D. Baade, and 23 Catherine M. Olsen. “More People Die from Thin Melanomas (< 1 mm) than from Thick Melanomas (> 4 mm) in Queensland, Australia.” The Journal of investigative dermatology 135.4 (2015): 1190