À propos de l’auteur

Ashley O’Toole, MHSc, MD, FRCPC
La Dre O’Toole est dermatologue au SKiN Centre for Dermatology de Peterborough, en Ontario, où elle est également assistante à la recherche dans le cadre de multiples essais cliniques. Elle est professeure auxiliaire à l’Université Queen’s et elle participe à la formation des étudiants en médecine et des médecins résidents. Après avoir obtenu une maîtrise en sciences de la santé et en communication comportementale à l’Université Ryerson de Toronto (Ontario), la Dre O’Toole a obtenu un diplôme en médecine de l’Université McMaster de Hamilton, en Ontario. Elle a terminé sa résidence en dermatologie à l’Université d’Ottawa, à Ottawa, en Ontario. La Dre O’Toole est l’auteure ou la co-auteure de 15 publications et participe à environ 30 essais cliniques portant sur la dermatite atopique, le psoriasis, l’alopécie, l’acné et le vitiligo.
Actualité Dermatologique au Canada, Volume 1, Numéro 1, Février 2020
Nouvelle ère dans le traitement des patients atteints de psoriasis
Je rappelle souvent à mes patients que nous sommes actuellement arrivés à un « point charnière emballant » dans le domaine de la prise en charge du psoriasis. Notre connaissance de la maladie évolue à un rythme tellement effarant que nous sommes maintenant en mesure de traiter la peau d’une manière sûre et efficace, comme jamais auparavant.
Pendant mes études en dermatologie, l’un de mes professeurs nous a expliqué qu’il faisait souvent appel à la métaphore d’un arbre lorsqu’il présentait les différentes options de prise en charge du psoriasis à ses patients. Son raisonnement était d’une grande simplicité, puisque cette métaphore pouvait être comprise par les patients de tous les milieux, même ceux qui n’ont que des connaissances très limitées dans le domaine de la santé. Maintenant que j’ai mon propre cabinet, cette métaphore s’avère tellement pratique que je l’utilise presque tous les jours pour sensibiliser des patients au sujet du traitement.
Pendant la discussion d’orientation des patients, je décris certains des plus vieux traitements pharmacologiques contre le psoriasis, notamment le méthotrexate et la cyclosporine, comme s’il s’agissait de couper le tronc de l’arbre du système immunitaire pour l’abattre au complet. Ces médicaments sont donc associés à un risque plus élevé d’effets secondaires, ce qui comprend les infections et l’immunosuppression1. Par ailleurs, ces médicaments plus anciens peuvent également nécessiter un bilan et un suivi plus intensifs tout au long du traitement. Par ailleurs, l’effet optimal du médicament ne se manifeste souvent qu’après 6 à 12 semaines2. Malheureusement, à ce stade, nous observons fréquemment une perte de motivation de la part du patient alors qu’il lutte contre une maladie en progression et que le traitement ne semble pas être en mesure de répondre efficacement à ses attentes. En outre, le patient peut ne pas avoir fait l’objet d’un suivi avant que l’effet du médicament commence à se manifester, ce qui peut poser un défi additionnel dans l’utilisation de ces traitements plus anciens. Les patients (et les médecins) entretiennent souvent une certaine appréhension à l’idée d’essayer ces traitements, ce qui souligne le besoin de pouvoir recourir à des options thérapeutiques plus sûres et plus efficaces.
Il y a une quinzaine d’années, les traitements par anticorps monoclonaux ont fait leur apparition dans la prise en charge des patients atteints de psoriasis ou de rhumatisme psoriasique. Lorsque je décris ces agents, souvent appelés « biologiques », je les compare au fait de couper une grande branche du système immunitaire. Les premiers produits biologiques comprennent les facteurs de nécrose tumorale (c.-à-d. adalimumab, étanercept et infliximab) et les inhibiteurs de l’IL 12/23 (c.-à-d. ustékinumab). Ces médicaments ont été bien accueillis par les professionnels de la santé et les patients puisqu’ils offrent de nombreux avantages, notamment la possibilité d’administrer moins fréquemment des doses plus élevées, des manifestations indésirables moins nombreuses et un profil d’efficacité plus performant et plus durable2.
Au cours des 2 ou 3 dernières années, notre compréhension du psoriasis et du rhumatisme psoriasique a toutefois progressé à pas de géant. Le paysage thérapeutique a évolué avec l’arrivée récente de nouveaux agents, plus ciblés et plus sûrs. Puisque ces traitements ont une cible très précise, je compare leur mécanisme à un simple émondage du système immunitaire dans le but de couper uniquement les branches qui sont directement responsables du psoriasis ou du rhumatisme psoriasique. Les inhibiteurs de l’IL-23 (risankizumab, tildrakizumab et guselkumab) et les inhibiteurs de l’IL-17 (ixékizumab, broadalumab et sécukinumab) sont des exemples de ces agents ciblés modernes. Les patients comprennent que la nature plus ciblée de ces médicaments leur permet de bénéficier d’un profil d’innocuité plus étroit et mieux défini.
Les essais cliniques portant sur le psoriasis qui ont été effectués dans les années 2000 comportaient un objectif de traitement réaliste, soit un score PASI 75 à la 12e semaine3. Les médicaments les plus récents visent dorénavant un score PASI 90, voire un score PASI 100, que l’on obtient souvent dans le cadre d’essais cliniques et que l’on observe également en situation réelle4,5,6. En tant que dermatologues, nous occupons une position unique pour offrir aux patients une peau claire ou presque claire, ce qui n’était souvent qu’un rêve auparavant.
Ces objectifs thérapeutiques plus ambitieux nous permettent d’observer des résultats fructueux même dans les parties de l’organisme les plus difficiles à traiter, comme le cuir chevelu, les organes génitaux, les ongles et le psoriasis palmo-plantaire. Le paysage thérapeutique est très compétitif dans le domaine du psoriasis. Par conséquent, de nombreuses sociétés pharmaceutiques s’efforcent de créer des traitements qui, en plus de procurer rapidement une peau claire, peuvent aussi se démarquer comme « agent de choix » en présence de cas difficiles à traiter. Par exemple, le marché du sécukinumab est axé sur son efficacité dans le traitement des patients atteints de spondylite ankylosante et de psoriasis7,8, alors que l’ixékizumab est présenté comme étant le traitement de choix dans la prise en charge du psoriasis génital9.
Depuis une vingtaine d’années, nous sommes les témoins d’une véritable révolution dans le domaine des traitements contre le psoriasis. Le paradigme est passé d’une mentalité axée sur l’immunosuppression à celle d’une intensification de l’immunomodulation. Les dermatologues, qui ne pouvaient auparavant compter que sur quelques agents immunosuppresseurs rudimentaires, disposent désormais d’un arsenal exhaustif d’options thérapeutiques qui peuvent répondre très précisément aux besoins de chaque patient. Ce nouveau positionnement en faveur de l’immunomodulation fait en sorte que les lignes directrices doivent être mises à jour. Plus précisément, des spécialistes exigent souvent que les patients fassent l’objet de tests diagnostiques avant l’instauration de ces traitements. Les recommandations antérieures ont été rédigées à une époque où les patients devaient être traités d’abord par méthotrexate, par cyclosporine ou par un agent biologique de première génération. Ces traitements comportaient tous des risques très réels d’infection ou d’immunosuppression. Les agents ciblés que nous utilisons maintenant comportent beaucoup moins de risques d’effets indésirables de cette nature.
Par exemple, à l’époque, les rétinoïdes oraux et les traitements topiques étaient souvent les seules options thérapeutiques à la disposition d’un patient présentant des antécédents de tuberculose ou de malignité à un organe solide. Puisque les traitements immunomodulateurs plus ciblés offrent un mécanisme d’action vraiment « anti-inflammatoire », par opposition à « immunosuppresseur » (c.‑à‑d. les inhibiteurs de la phosphodiestérase 4 [PDE4] et les agents biologiques ciblés), nous disposons maintenant de nombreuses options thérapeutiques efficaces et sans danger.
Compte tenu de la rareté chronique des ressources et de l’insistance accrue sur le rapport coût-efficacité, l’évaluation des besoins visant à tenir compte du fardeau économique et sociétal dans le secteur de la santé est un autre facteur qui justifie une mise à jour des anciennes recommandations portant sur l’instauration d’un traitement biologique. Mes années d’expérience m’ont permis de constater que les tests cutanés à la tuberculine, les nombreuses analyses en laboratoire et les examens radiologiques répétitifs requis pour tous les patients exigent énormément de temps de la part du patient, qu’ils sont inefficaces pour le système de santé et qu’ils produisent un nombre disproportionné de résultats faux négatifs. Ainsi, un bilan doit être établi individuellement pour chaque patient-les patients qui présentent un faible risque peuvent ne pas avoir besoin de ces tests, puisqu’ils contribuent souvent aux taux d’attrition et à des lacunes en matière de suivi. Bien entendu, les groupes de patients particulièrement vulnérables, comme les immigrants, les travailleurs de la santé, les personnes sans domicile fixe, les membres des Premières nations, les travailleurs du sexe, etc., devraient faire l’objet d’un examen de dépistage de la tuberculose (dépistage ITL ou QuantiFERON), d’une radiographie pulmonaire, de cultures de selles, de détection sérologique de l’hépatite, du VIH ou de tout autre titre viral, avant l’instauration d’un traitement par un agent biologique.
Des études portant sur le risankizumab et le guselkumab ont été effectuées chez des patients atteints de tuberculose latente avérée (résultat positif au test normalisé de détection de la tuberculose ou le test QuantiFERON-TB Gold4,5). Dans le cadre de ces essais, aucun des 31 patients atteints de tuberculose latente n’a développé de tuberculose active, malgré l’utilisation du risankizumab5. Lors des essais cliniques portant sur le guselkumab, le traitement par agent biologique a été instauré chez quelques patients atteints de tuberculose latente avant le traitement antituberculeux, et ceux-ci n’ont toujours pas développé de maladie active4. Subséquemment, le risankizumab, qui a été homologué tout récemment, est devenu le tout premier agent biologique dont le libellé n’exige aucun test de dépistage de la tuberculose (laissant plutôt ce choix à la discrétion du professionnel de la santé)10. En situation concrète, il est cliniquement approprié de faire subir un test de dépistage de la tuberculose aux personnes qui appartiennent à des groupes particulièrement vulnérables (c.-à-d. les membres des Premières nations, les personnes sans domicile fixe, les immigrants ou les voyageurs particulièrement vulnérables).
Enfin, la dernière raison pour laquelle je rappelle à mes patients que nous sommes arrivés à un point charnière emballant dans le domaine de la prise en charge du psoriasis est le niveau croissant de soutien auquel les patients peuvent avoir accès à l’extérieur de leur cercle de soins immédiat, comme l’amélioration de l’accès des patients aux médicaments grâce aux programmes de soutien aux patients parrainés par ¸l’industrie ainsi qu’aux programmes de transition et d’accès pour des raisons humanitaires de même que l’accès accru à ces nouvelles thérapies grâce aux mécanismes de remboursement publics. Tous ces facteurs jouent un rôle dans la création d’un point charnière emballant dans le domaine des traitements contre le psoriasis. À l’instar des recherches dans ce domaine, le gouvernement reconnaît de plus en plus les répercussions des maladies de la peau sur la qualité de vie et le rendement professionnel.
En fin de compte, les perspectives sont fort prometteuses en ce qui concerne le traitement et la prise en charge des patients atteints de psoriasis. Nous disposons de médicaments plus efficaces, offrant un profil d’innocuité plus avantageux et un effet prolongé. Munis de ces options thérapeutiques adaptées et personnalisées, nous sommes en mesure, en tant que dermatologues, d’améliorer de manière considérable la qualité de vie de nos patients.
References
1. Wolverton SE: Major adverse effects from systemic drugs: defining the risks. Curr Probl Dermatol. 7:1-4 1995
2. Wolverton SE. Comprehensive dermatologic drug therapy 3rd edition. 2013. Elsevier Saunders Publishing. Toronto.
3. Mehlis S, Gordon KB. Tumor necrosis factor (TNF) inhibitors. In Comprehensive dermatologic drug therapy 3rd edition. Wolverton (ed). 2013. Elsevier Saunders Publishing. Toronto.
4. Armstrong AW, Reich K, Foley P, Han C, Song M, Shen YK, You Y, Papp KA. Improvement in Patient-Reported Outcomes (Dermatology Life Quality Index and the Psoriasis Symptoms and Signs Diary) with Guselkumab in Moderate-to-Severe Plaque Psoriasis: Results from the Phase III VOYAGE 1 and VOYAGE 2 Studies. Am J Clin Dermatol. 2019 Feb;20(1):155-164. doi: 10.1007/s40257-018-0396-z.
5. Foley P, Gordon K, Griffiths CEM, Wasfi Y, Randazzo B, Song M, Li S, Shen YK, Blauvelt A. Efficacy of Guselkumab Compared With Adalimumab and Placebo for Psoriasis in Specific Body Regions: A Secondary Analysis of 2 Randomized Clinical Trials. JAMA Dermatol. 2018 Jun 1;154(6):676-683. doi: 10.1001/jamadermatol.2018.0793.
6. Puig L. PASI90 response: the new standard in therapeutic efficacy for psoriasis. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2015; 29: 645-648
7. Drugs. 2019 Mar;79(4):433-443. doi: 10.1007/s40265-019-01075-3. Secukinumab: A Review in Ankylosing Spondylitis.Blair HA1.
8. Br J Dermatol. 2019 Nov;181(5):954-966. doi: 10.1111/bjd.17351. Epub 2019 Jan 16. Effect of secukinumab on the clinical activity and disease burden of nail psoriasis: 32-week results from the randomized placebo-controlled TRANSFIGURE trial. Reich K1,2, Sullivan J3, Arenberger P4, Mrowietz U5, Jazayeri S6, Augustin M7, Parneix A8, Regnault P9, You R10, Milutinovic M9.
9. Br J Dermatol. 2018 Oct;179(4):844-852. doi: 10.1111/bjd.16736. Epub 2018 Jul 22. Efficacy and safety of ixekizumab in a randomized, double-blinded, placebo-controlled phase IIIb study of patients with moderate-to-severe genital psoriasis. Ryan C1, Menter A2, Guenther L3, Blauvelt A4, Bissonnette R5, Meeuwis K6, Sullivan J7, Cather JC8, Yosipovitch G9, Gottlieb AB10, Merola JF11, Callis Duffin K12, Fretzin S13, Osuntokun OO14, Burge R14, Naegeli AN14, Yang FE14, Lin CY14, Todd K14, Potts Bleakman A14; IXORA-Q Study Group
10. Monographie de risankizumab, accessible à l’adresse : https://www.abbvie.ca/content/dam/abbviecorp/ca/fr/docs/SKYRIZI_PM_FR.pdf