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À propos de l’auteure

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Asfandyar Mufti, M.D.

Le Dr Asfandyar Mufti a fait ses études de médecine à l’Université d’Ottawa, où il a obtenu son diplôme en 2017. Il a ensuite effectué sa résidence en dermatologie à l’Université de Toronto en 2022. Au cours de sa résidence, il a également obtenu une maîtrise ès sciences en santé communautaire (formation des enseignants professionnels de la santé) à l’Université de Toronto. Au cours de sa dernière année de résidence, il a reçu le prix F.M. Hill du Women’s College Hospital pour le mentorat des résidents, le prix d’enseignant résident du PARO Trust Fund de l’Université de Toronto et le prix d’enseignant résident de l’Association canadienne de dermatologie. Ses intérêts dans le domaine clinique et de la recherche comprennent la dermatologie médicale, la thérapeutique, le soin des plaies, les maladies bulleuses auto-immunes et les lymphomes cutanés. Il a publié de nombreux manuscrits évalués par des pairs, et exerce en milieu universitaire et communautaire, travaillant au Sunnybrook Health Sciences Centre et dans des cliniques de dermatologie médicale de la Région du Grand Toronto.

Affiliations:
Division de dermatologie,
Centre des sciences de la santé Sunnybrook
Université de Toronto

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 4, Numéro 1, mars 2023

Prise en charge de la mastocytose cutanée

Présentation

Les mastocytoses sont un groupe de maladies caractérisées par la prolifération des mastocytes, qui peuvent entraîner des symptômes cutanés et systémiques1. La mastocytose peut débuter à la naissance ou apparaître à tout moment par la suite, même tardivement à l’âge adulte. La mastocytose de l’enfant se manifeste avant la puberté. Le plus souvent, la mastocytose de l’adulte apparaît durant la trentaine ou la quarantaine1. La mastocytose touche les individus de toute origine ethnique et identité de genre. La majorité des patients atteints de mastocytose n’ont pas d’antécédents familiaux de la maladie; toutefois, des cas familiaux ont été rapportés dans la littérature2.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a classé la mastocytose en plusieurs catégories :

1) la mastocytose cutanée (MC); 2) la mastocytose systémique indolente (MSI); 3) la mastocytose systémique associée à un trouble hématologique clonal non mastocytaire (SM-AHNMD); 4) la mastocytose systémique agressive (MSA); 5) la leucémie à mastocytes (LM); 6) le sarcome mastocytaire; et 7) le mastocytome extra-cutané (Tableau 1)3. Chez les personnes atteintes de mastocytose, la peau est l’organe le plus fréquemment touché. C’est donc sur ce point que portera le présent article2.

Tableau 1. Classification OMS de la mastocytose2,3.
† SHE : syndrome hyperéosinophilique
Forme rare de mastocytose systémique touchant les ganglions lymphatiques et accompagnée d’une éosinophilie

Pathogenèse

Bien que l’étiologie précise de ce groupe de maladies ne soit pas tout à fait comprise, on estime qu’elles sont causées par une mutation activatrice du gène codant pour le récepteur du facteur de cellules souches (KIT) à la surface des mastocytes4. Les tumeurs à mastocytes se développent dans la peau sous l’effet de ces mutations, entraînant l’activation et la prolifération des mastocytes.

Tableau clinique

Les enfants et les adultes sont généralement asymptomatiques, sauf en cas d’atteinte extra-cutanée. Lorsque des symptômes se manifestent, ils résultent de l’action de médiateurs libérés par les mastocytes, notamment l’histamine, les eicosanoïdes et les cytokines5. Ces symptômes et leurs manifestations peuvent inclure prurit, bouffées vasomotrices, diarrhée, douleurs abdominales, palpitations, étourdissements et syncope. En général, les symptômes pulmonaires sont inexistants dans la mastocytose. L’atteinte extra-cutanée est fréquemment indiquée par les plaintes suivantes : fièvre, sueurs nocturnes, malaise, perte de poids, douleurs osseuses, douleurs épigastriques et désorganisation cognitive5.

La pratique d’une activité physique, la chaleur ou une irritation locale des lésions cutanées peuvent aggraver les symptômes de la mastocytose. Les substances qui ont été associées au déclenchement des symptômes de la mastocytose comprennent : alcool, opioïdes, salicylates et autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), ainsi que la polymyxine B et les anticholinergiques6. Les chocs anaphylactiques aux venins d’hyménoptères sont un autre déclencheur possible; par conséquent, les patients doivent à tout moment avoir accès à un auto-injecteur d’épinéphrine.

Les manifestations cliniques de la mastocytose peuvent être classées en fonction de l’âge lors de l’apparition des symptômes (Tableau 2)2,5,7.

Tableau 2. Variantes cliniques de la mastocytose de l’enfant et de l’adulte. 2,5

Les trois principales manifestations cliniques de la mastocytose de l’enfant, qui affectent presque toujours la peau, sont les suivantes : 1) lésions solitaires ou peu nombreuses, appelées « mastocytomes », représentant 15 à 50 % des cas; 2) lésions multiples (< 10 à > 100), appelées « urticaire pigmentaire » ou « mastocytose cutanée maculopapuleuse », représentant 45 à 75 % des cas; et 3) atteinte cutanée diffuse, présente chez moins de 5 à 10 % des patients8,9,10.

Le mastocytome se traduit par l’apparition d’une plaque ou d’un nodule dont la couleur varie du brun roux au marron en passant par le brun jaunâtre. Il peut être légèrement surélevé et possède généralement une texture évoquant le cuir. Ces lésions sont généralement de nature distale et peuvent être congénitales ou apparaître dans la petite enfance. Deux variantes principales ont été décrites dans la littérature scientifique : les macules monomorphes d’un brun roux tirant sur le marron de petite taille, ou les plaques ou nodules polymorphes d’un brun jaunâtre tirant sur le marron de grande taille. L’urticaire pigmentaire peut être une combinaison de ces morphologies, avec des macules et papulonodules d’un nombre et d’une taille variables11. La mastocytose cutanée diffuse se manifeste par une peau coriace, épaissie, avec une hyperpigmentation variée présente sur une large zone. L’atteinte systémique est souvent inexistante et une rémission spontanée a généralement lieu2.

Dans la mastocytose de l’adulte, les lésions les plus courantes sont des macules et des papules monomorphes (urticaire pigmentaire) de petit diamètre (< 1 cm) d’un brun rougeâtre; chez les patients ayant le type de peau I, elles peuvent également être de couleur rose à rouge. Le tronc et les extrémités proximales sont les zones les plus fréquemment touchées par ces lésions; le visage, les extrémités distales, la paume des mains et la plante des pieds sont généralement épargnés. Bien que les lésions individuelles puissent disparaître, leur nombre global augmente généralement avec le temps. Une hyperpigmentation variable et de petites télangiectasies sont visibles de près. La mastocytose télangiectasique (Telangiectasia macularis eruptiva perstans, ou TMEP), un type rare de mastocytose cutanée survenant chez l’adulte, se caractérise par des macules et des plaques composées de télangiectasies sans hyperpigmentation étendue. Les mastocytomes sont rares à l’âge adulte.

Évaluation initiale d’un patient atteint de mastocytose cutanée

Lors de l’évaluation d’un patient présentant une mastocytose cutanée, il est important de se renseigner sur les symptômes constitutionnels de l’anamnèse. Il convient d’effectuer un examen approfondi des systèmes en accordant une attention particulière au système nerveux central (céphalées, désorganisation cognitive, fatigue), au système gastro-intestinal (douleurs épigastriques, diarrhée, crampes), au système cardiovasculaire (douleurs thoraciques, palpitations, dyspnée) et au système endocrinien (douleurs osseuses et antécédents de fractures). Des examens appropriés, comme l’endoscopie ou la scintigraphie osseuse, peuvent être décidés en fonction des antécédents cliniques2,3,5.

L’examen physique doit inclure une évaluation de la lymphadénopathie et de l’hépatosplénomégalie. En fonction de l’examen, une échographie ou d’autres modalités d’imagerie peuvent être utilisées pour une analyse plus approfondie des anomalies2,3,5. Le signe de Darier, qui ressemble à une papule caractéristique de l’urticaire lorsque les lésions cutanées sont caressées ou frottées, est un élément diagnostique et résulte de la libération de médiateurs mastocytaires. Chez les enfants, en particulier ceux présentant des lésions nodulaires, le signe de Darier est facilement reconnaissable et peut s’accompagner de symptômes systémiques. Dans la mastocytose de l’adulte, le signe de Darier est en général plus discret que dans la mastocytose de l’enfant.

Une biopsie de la peau doit être réalisée chez tous les individus présentant une mastocytose cutanée pour confirmer le diagnostic. Un hémogramme, un bilan hépatique et un dosage de tryptase sérique doivent également être effectués chez les patients adultes afin d’exclure toute atteinte systémique2,3,5. Des examens biologiques ne sont généralement pas nécessaires chez les enfants, en particulier s’ils présentent un mastocytome solitaire ou s’ils sont asymptomatiques. Les anomalies décelées par l’hémogramme, le bilan hépatique et le dosage de tryptase sérique peuvent nécessiter des examens complémentaires, par exemple une biopsie de la moelle osseuse et un examen d’imagerie. Si une éosinophilie est décelée, un frottis de sang périphérique et un prélèvement de moelle osseuse doivent être envisagés.    

Prise en charge

Il n’existe aucun traitement curatif connu pour la mastocytose. Compte tenu de cet élément, le traitement des patients atteints de cette maladie est principalement axé sur le soulagement des symptômes. De nombreuses mastocytoses cutanées ne provoquent que peu de symptômes, voire aucun, et ne nécessitent donc qu’un traitement minimal, voire aucun. Il convient de conseiller aux patients présentant une mastocytose de se tenir à l’écart des substances susceptibles de provoquer une dégranulation des mastocytes et des déclencheurs environnementaux. Le Tableau 3 répertorie les déclencheurs potentiels qui ont été, directement ou indirectement, associés à la stimulation de réactions anaphylactiques chez les patients atteints de mastocytose.

Tableau 3. Échelle de traitement de la mastocytose.2,5

Les antihistaminiques sont souvent utiles dans la gestion des symptômes de la mastocytose12. En raison de leur demi-vie plus longue et de leur inhibition plus ciblée du récepteur H1, les antihistaminiques de deuxième génération (cétirizine, loratadine et fexofénadine) sont souvent privilégiés (Tableau 3). Pour le contrôle des symptômes, l’utilisation de nombreux médicaments et de doses plus élevées qu’à la normale est souvent nécessaire : par exemple, la prise de cétirizine le soir, en plus de la fexofénadine le matin, pour traiter les symptômes liés à l’histamine chez l’adulte2. Dans certains cas, y compris chez les patients présentant une hypersécrétion d’acide gastrique, l’utilisation d’un antagoniste H2 (comme la cimétidine, la ranitidine, la famotidine ou la nizatidine) peut présenter des avantages13.

Les troubles gastro-intestinaux liés à la mastocytose et (dans une moindre mesure) les symptômes cutanés et du SNC peuvent être soulagés par la prise orale de Cromolyn sodique (cromoglycate disodique; 400 à 800 mg/jour), un stabilisateur des mastocytes par voie orale à faible biodisponibilité14. La littérature a également fait état de la possibilité d’utiliser le Cromolyn topique pour le traitement de la mastocytose cutanée. L’omalizumab, un anticorps monoclonal murin humanisé dirigé contre les IgE qui est autorisé pour le traitement de l’urticaire chronique et de l’asthme, s’est également avéré efficace dans le traitement de la mastocytose symptomatique de l’adulte résistante au traitement par des antihistaminiques15.

Chez les patients présentant une mastocytose, la PUVAthérapie (thérapie par psoralène associant des rayons ultraviolets [UVA]) ou par ultraviolets B à bande étroite (UVB) administrée jusqu’à quatre fois par semaine peut aider à gérer le prurit et la sibilance provoquée par des lésions cutanées16. Même si la photothérapie peut diminuer la teneur en histamine des mastocytes cutanés, elle n’est pas en mesure d’éliminer complètement les infiltrats mastocytaires.

Les corticostéroïdes topiques puissants, en particulier lorsqu’ils sont appliqués sous occlusion pendant six semaines ou plus, peuvent mettre un terme à la formation de papules et de prurit cutanés, ainsi que réduire le nombre de mastocytes cutanés à l’origine de lésions; toutefois, ils peuvent également provoquer une atrophie cutanée2,17. Les injections intralésionnelles de triamcinolone acétonide se sont également avérées efficaces pour éliminer les infiltrats de mastocytes de la peau des patients présentant une mastocytose18. En outre, des rapports de cas indiquent qu’un traitement par des inhibiteurs topiques de la calcineurine améliore les mastocytomes cutanés. La prednisone seule ou en association avec la cyclosporine s’est avérée soulager les symptômes gastro-intestinaux et cutanés chez des patients atteints de mastocytose systémique19.

En cas d’urgence, une préparation d’épinéphrine (adrénaline) en seringue préremplie (comme les auto-injecteurs EpiPen® [Pfizer Canada, Kirkland, Québec] ou Auvi-Q® [Kaleo, Richmond, Virginie]) doit être administrée aux individus présentant une mastocytose sévère qui sont fréquemment sujets à des épisodes d’hypotension susceptibles d’engager le pronostic vital après la libération de médiateurs mastocytaires20. Dans les heures qui suivent le premier épisode, ces patients peuvent parfois subir des épisodes ultérieurs comparables; la prednisone administrée à raison de 20 à 40 mg/jour pendant 2 à 4 jours peut éliminer ces réactions récurrentes.

Correspondance :
Dr Asfandyar Mufti
Courriel : asfandyar.mufti@gmail.com

Divulgations des intérêts financiers :
Aucune

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