Aller au contenu

À propos de l’auteur

Headshot_Spring

Shanna Spring, MD

La Dre Shanna Spring détient le titre de dermatologue agréée au Canada et aux États-Unis.  Après avoir obtenu son baccalauréat ès sciences à l’Université McGill, elle a étudié la médecine à l’Université de Toronto.  À la fin de son doctorat en médecine, elle est retournée dans sa ville natale, Ottawa, pour y faire sa résidence en dermatologie. Son intérêt pour la dermatologie pédiatrique lui a valu une bourse d’un an à l’Université de la Californie à San Francisco (UCSF) et à l’Université de Toronto (Sickkids). Depuis son retour à Ottawa, elle partage son temps entre le Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario, l’hôpital Bruyère et l’hôpital d’Ottawa, où elle s’intéresse tout particulièrement à la dermatologie pédiatrique.

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 1, Numéro 2, Avril 2020

Remise en question de certains usages en matière de dermatite atopique pédiatrique

Antihistaminiques en dermatite atopique

Pendant ma formation en résidence, nous apprenions à encourager les parents à utiliser Benadryl® (diphenhydramine) ou Atarax® (hydroxyzine) la nuit pour aider leurs enfants à mieux dormir lorsqu’ils étaient atteints des démangeaisons. Nous recommandions alors aux parents d’utiliser une dose plus élevée que celle inscrite sur l’étiquette du flacon, puisque l’intention clinique était d’utiliser ce produit pour ses effets secondaires sédatifs plutôt que pour un traitement particulier contre la dermatite atopique chez leur enfant. 

L’an dernier, la Société canadienne d’allergie et d’immunologie clinique (SCAIC) a publié une déclaration de principes au sujet de l’utilisation correcte des antihistaminiques. Celle-ci s’opposait catégoriquement à cette pratique1. Les antihistaminiques H1 de première génération ont des effets secondaires, comme la sédation et une altération des fonctions cognitives. Bien qu’ils puissent aider l’enfant à s’endormir, ils ont été associés à un sommeil de mauvaise qualité. Ces antihistaminiques traversent la barrière hématoencéphalique et provoquent une suppression importante au niveau du SNC. Certaines études ont révélé une dégradation des résultats scolaires chez les patients qui en utilisent régulièrement2.  L’utilisation antérieure d’antihistaminiques de première génération pourrait être associée à une augmentation des symptômes de TDAH chez les enfants atteints de dermatite atopique3. 

Les antihistaminiques de deuxième génération sont plus efficaces et plus sûrs que les antihistaminiques de première génération5. Ces médicaments de deuxième génération sont maintenant notre thérapie de première intention chez les patients atteints d’urticaire et de rhinoconjonctivite. Des données probantes laissent entendre que la rupatadine, l’un des tout derniers antihistaminiques de deuxième génération, pourrait même avoir certaines propriétés antiprurigineuses en présence de dermatite atopique4. Même s’il a été utilisé pendant longtemps en présence de réactions allergiques aiguës de type I, Benadryl® a été retiré des protocoles des hôpitaux pédiatriques pour traiter les patients atteints d’anaphylaxie.  La SCAIC recommande que tous les antihistaminiques de première génération ne soient vendus que sur ordonnance, et ce, afin d’en décourager la consommation par la population générale. 

Mon expérience clinique m’a révélé que de nombreuses familles ont encore recours à Benadryl® (diphénhydramine) lorsque leur enfant a des démangeaisons, quelle qu’en soit l’étiologie. Nous avons la responsabilité, à l’instar de nos collègues pharmaciens, de décourager l’utilisation de ce médicament désuet. La SCAIC recommande fortement de « réduire considérablement l’utilisation des antihistaminiques de première génération »1. 

Bains d’eau de Javel

Une autre controverse à laquelle nous sommes confrontés quotidiennement est de savoir s’il faut suggérer ou non des bains d’eau de javel à nos patients atteints d’infections récurrentes par S. aureus. Une étude systématique a révélé récemment que les bains d’eau de Javel sont efficaces pour réduire la gravité de la DA, mais qu’ils ne sont pas plus efficaces que les bains d’eau seulement5. Cette étude confirme qu’un bain régulier est préférable à un bain peu fréquent chez les patients atteints de DA. Une étude Cochrane réalisée en 2010 n’a constaté aucun avantage à utiliser des interventions antistaphylococciques (c’est-à-dire des bains d’eau de Javel) pour réduire la densité de S. aureus sur la peau des patients atteints de la DA, comparativement à l’utilisation régulière des médicaments anti-inflammatoires que nous utilisons régulièrement chez les patients atteints de DA6. 

Par ailleurs, les conclusions d’une analyse publiées récemment dans un journal scientifique, dans le cadre de laquelle différents modèles utilisés pour éradiquer le S. aureus ont été analysés en laboratoire, ont révélé que la concentration clinique des bains d’eau de javel diluée que nous recommandons aux patients n’est pas suffisante pour inhiber la survie ou la croissance de S. aureus ou de S. epidermidis71. En fait, l’effet bactéricide n’a été observé qu’à des concentrations très élevées d’eau de Javel, soit des concentrations cytotoxiques pour les cellules humaines qui ne pourraient pas être utilisées sans danger. 

Les études de la Dre Amy Paller, éminente dermatologue pédiatrique de Chicago, portent sur les microbiomes et la dermatite atopique.  Dans une étude récente avec Majewski, et al., les chercheurs ont évalué l’efficacité du lavage corporel à l’hypochlorite de sodium (NaOCL). Cette étude prospective ouverte de 6 semaines regroupai 50 patients (âgés de 6 mois à 17 ans) qui étaient atteints de DA d’intensité modérée ou grave et qui présentaient une colonisation cutanée avérée par S. aureus. Les patients avaient reçu la directive de prendre tous les jours un bain contenant de l’eau de Javel, tout en continuant d’appliquer leurs crèmes médicamenteuses habituelles. Les principaux critères d’évaluation comprenaient les scores selon l’évaluation globale par le chercheur (IGA), l’index de gravité de l’eczéma et de surface atteinte (EASI) et l’évaluation de surface corporelle couverte (BSA). À la fin de l’étude de six semaines, une amélioration de tous les paramètres d’évaluation a été observée en comparant les données de référence aux évaluations effectuées à la 2e et à la 6e semaine. Il est intéressant de noter que 64 % des participants obtenaient encore un résultat positif à la présence de s. aureus à la fin de l’étude. Les auteurs ont émis l’hypothèse que l’eau de Javel et les bains de lavage « mettent en cause un mécanisme qui est au-delà de leur capacité d’oxydation et de son activité bactéricide contre le
S. aureus », ce qui laisse entendre qu’ils pourraient avoir des propriétés anti-inflammatoires qui n’ont aucun effet sur la dysbiose bactérienne8. 

Toutes ces données contradictoires font en sorte qu’il est toujours difficile de savoir ce qu’il faut suggérer aux patients et aux membres de leur famille qui nous consultent. Le consensus canadien sur la dermatite atopique pédiatrique est probablement l’énoncé qui résume le mieux la situation : Le rôle des bains contenant de l’eau de Javel dans l’amélioration des résultats chez les patients atteints de DA n’a pas été démontré avec certitude. Le recours à ce traitement est donc à la discrétion des prestataires de soins »9. 

Utilisation précoce d’un émollient comme mesure de prévention primaire de la dermatite atopique

En 2014, Simpson, et al. a publié un article qui a été accueilli avec enthousiasme en dermatologie. Une petite étude pilote contrôlée avec répartition aléatoire des sujets portant sur 124 nourrissons qui présentaient un risque élevé de DA a évalué l’utilisation quotidienne d’un émollient chez des nourrissons âgés de 3 semaines à 6 mois par rapport au groupe témoin et au développement subséquent de DA. Les parents du groupe d’enfants sous traitement devaient appliquer un émollient sur tout le corps de leur enfant, au moins une fois par jour, à partir de la troisième semaine suivant la naissance. Les parents des enfants du groupe de référence ne devaient pas en utiliser. Le principal résultat clinique était l’incidence cumulative de dermatite atopique à l’âge de
6 mois, selon l’évaluation effectuée par un chercheur qualifié. À la fin de l’étude, l’utilisation régulière d’un émollient a été associée à un effet protecteur statistiquement significatif sur l’incidence cumulative de DA, soit une réduction relative du risque de 50 % (risque relatif, 0,50; IC à 95 %, 0,28 à 0,9; P = 0,017)10. Une petite étude similaire effectuée au Japon a également été associée à un résultat favorable, soit une réduction de 32 % du risque de DA avec l’utilisation quotidienne d’un émollient11. 

Ces résultats ont justifié le financement de deux études, l’une au Royaume-Uni et l’autre en Suède, et le recrutement de cohortes plus importantes. 

L’étude BEEP (Barrier Enhancement for Eczema Prevention) était un essai multicentrique contrôlé, avec répartition aléatoire des sujets, comportant deux volets et des groupes parallèles, dans le cadre duquel des patients ont été recrutés dans 16 sites au Royaume-Uni12. Les résultats de cette étude ont été publiés récemment dans le Lancet. Dans le cadre de cette étude, 1 394 nourrissons présentant un risque élevé de développer une DA ont été répartis aléatoirement dans une proportion 1:1 dans un groupe de sujets traités par applications d’émollients à base de gelée de pétrole une fois par jour pendant leur première année de vie ou dans un groupe de sujets recevant uniquement le traitement standard (groupe témoin). Le principal paramètre d’évaluation était la présence de DA à l’âge de 2 ans. Les résultats étaient inattendus : 23 % des enfants du groupe sous traitement par émollients ont développé de l’eczéma, comparativement à 25 % chez les sujets du groupe témoin (risque relatif ajusté 0,95 [IC à 95% 0,78 à 1,16],  p = 0,61; différence de risque ajusté -1,2% [-5,9 à 3,6]) et 15 % des enfants du groupe sous traitement par émollients présentaient des infections cutanées, comparativement à seulement 11 % chez les sujets du groupe témoin. Les auteurs ont émis l’hypothèse selon laquelle le risque d’infection plus élevé pourrait être attribuable à une inoculation pathogénique accrue lors de l’application d’émollients, à une perturbation possible du microbiome ou au fait que les émollients font peut-être en sorte que les bactéries adhèrent plus facilement à la peau. Les auteurs ont conclu qu’aucune donnée probante ne corrobore l’utilisation quotidienne d’émollients dans la prévention de la DA chez les nourrissons particulièrement vulnérables, et que cette pratique pourrait en fait être associée à un risque accru d’infections cutanées. « Cette pratique devrait être abandonnée, à moins que de nouvelles données probantes ne démontrent le contraire. »

Le numéro de février de la revue médicale The Lancet présente également les conclusions de l’étude basée sur la population PreventADALL13. Cette étude a suivi 2 394 nouveau-nés pendant leur première année de vie, répartis au hasard dans l’un des quatre groupes suivants : un groupe témoin (groupe de sujets n’ayant obtenu aucun conseil spécifique sur les soins de la peau alors qu’il leur était conseillé de suivre les directives nationales sur l’alimentation des nourrissons), un groupe de sujets traités par application d’émollients cutanés (additifs pour le bain et crème pour le visage), un groupe de sujets sous intervention alimentaire (alimentation complémentaire précoce à base d’arachides, de lait de vache, de blé et d’œufs) et un groupe de sujets recevant un traitement comprenant à la fois l’application d’émollients cutanés et une intervention alimentaire. Le traitement cutané consistait en l’application d’émollients cutanés 4 jours par semaine, chez les nourrissons entre l’âge de 2 semaines et de 8 mois. Malgré le faible niveau d’intervention requis, très peu de patients adhéraient au protocole au complet. Le principal critère d’évaluation, soit la présence de DA à l’âge de 12 mois, a révélé que le développement de DA était plus élevé dans le groupe de sujets traités par application d’émollients cutanés (11 %), et que le taux le plus faible était dans le groupe recevant un traitement combiné comprenant à la fois l’application d’émollients cutanés et une intervention alimentaire (5 %). Cette conclusion intéressante et inédite, qui met en évidence le résultat obtenu dans le groupe recevant un traitement, pourrait jeter un nouvel éclairage sur l’effet synergique d’une approche par interventions multiples. Cette hypothèse sera, espérons-le, confirmée au terme de la phase de prolongation de l’étude, qui portera sur les paramètres d’évaluation des allergies chez les sujets à l’étude lorsqu’ils auront 3 ans. 

Compte tenu de ces deux grandes études, aucune donnée probante ayant été publiée ne démontre hors de tout doute que l’utilisation quotidienne d’un émollient, chez l’ensemble des sujets ou dans le groupe de nourrissons particulièrement vulnérables pendant la première année de vie, puisse contribuer à retarder, supprimer ou prévenir la DA. Ces deux études ont fait appel à l’administration peu fréquente de bains d’huile ou à l’application quotidienne de produits contenant de la gelée de pétrole, de sorte qu’il est possible que des émollients à faible pH contenant de la céramide puissent conférer des bienfaits plus importants. L’étude PEBBLES est un essai contrôlé, avec répartition aléatoire, de grande envergure qui porte sur des résultats semblables, mais met en cause un émollient plus complexe, qui est appliqué deux fois par jour14. Même si le résultat de cette étude est positif, il n’est pas certain qu’une crème plus coûteuse et un traitement plus intensif soient une stratégie possible et réaliste pour réduire l’incidence de DA chez ce groupe de patients. 

References

1. Fein MN, Fischer DA, O’Keefe AW, Sussman GL. CSACI position statement: Newer generation H1-antihistamines are safer than first-generation H1-antihistamines and should be the first-line antihistamines for the treatment of allergic rhinitis and urticaria. Allergy, Asthma Clin Immunol. 2019;15(1):61. doi:10.1186/s13223-019-0375-9

2. Walker S, Khan-Wasti S, Fletcher M, Cullinan P, Harris J, Sheikh A. Seasonal allergic rhinitis is associated with a detrimental effect on examination performance in United Kingdom teenagers: Case-control study. J Allergy Clin Immunol. 2007;120(2):381-387. doi:10.1016/j.jaci.2007.03.034

3. Schmitt J, Buske-Kirschbaum A, Tesch F, et al. Increased attention-deficit/hyperactivity symptoms in atopic dermatitis are associated with history of antihistamine use. Allergy Eur J Allergy Clin Immunol. 2018;73(3):615-626. doi:10.1111/all.13326

4.Hide M, Suzuki T, Tanaka A, Aoki H. Long-term safety and efficacy of rupatadine in Japanese patients with itching due to chronic spontaneous urticaria, dermatitis, or pruritus: A 12-month, multicenter, open-label clinical trial. J Dermatol Sci. 2019;94(3):339-345. doi:10.1016/j.jdermsci.2019.05.008

5. Chopra R, Vakharia PP, Sacotte R, Silverberg JI. Efficacy of bleach baths in reducing severity of atopic dermatitis: A systematic review and meta-analysis. Ann Allergy Asthma Immunol. 2017;119(5):435-440. doi:10.1016/j.anai.2017.08.289

6. Bath-Hextall FJ, Birnie AJ, Ravenscroft JC, Williams HC. Interventions to reduce Staphylococcus aureus in the management of atopic eczema: An updated Cochrane review. Br J Dermatol. 2010;163(1):12-26. doi:10.1111/j.1365-2133.2010.09743.x

7. Sawada Y, Tong Y, Barangi M, et al. Dilute bleach baths used for treatment of atopic dermatitis are not antimicrobial in vitro. J Allergy Clin Immunol. 2019;143(5):1946-1948. doi:10.1016/j.jaci.2019.01.009

8. Majewski S, Bhattacharya T, Asztalos M, et al. Sodium hypochlorite body wash in the management of Staphylococcus aureus–colonized moderate-to-severe atopic dermatitis in infants, children, and adolescents. Pediatr Dermatol. 2019;36(4):442-447. doi:10.1111/pde.13842

9. Lansang P, Lara-Corrales I, Bergman JN, et al. Approach to the Assessment and Management of Pediatric Patients With Atopic Dermatitis: A Consensus Document. Section IV: Consensus Statements on the Assessment and Management of Pediatric Atopic Dermatitis. J Cutan Med Surg. 2019;23(5):32S-39S. doi:10.1177/1203475419882654

10. Simpson EL, Chalmers JR, Hanifin JM, et al. Emollient enhancement of the skin barrier from birth offers effective atopic dermatitis prevention. J Allergy Clin Immunol. 2014;134(4):818-823. doi:10.1016/j.jaci.2014.08.005

11. Horimukai K, Morita K, Narita M, et al. Application of moisturizer to neonates prevents development of atopic dermatitis. J Allergy Clin Immunol. 2014;134(4):824-830.e6. doi:10.1016/j.jaci.2014.07.060

12. Chalmers JR, Haines RH, Bradshaw LE, et al. Daily emollient during infancy for prevention of eczema: the BEEP randomised controlled trial. Lancet (London, England). 2020;6736(19). doi:10.1016/S0140-6736(19)32984-8

13. Skjerven HO, Rehbinder EM, Vettukattil R, et al. Skin emollient and early complementary feeding to prevent infant atopic dermatitis (PreventADALL): a factorial, multicentre, cluster-randomised trial. Lancet (London, England). 2020:1-11. doi:10.1016/S0140-6736(19)32983-6

14. Lowe A, Su J, Tang M, et al. PEBBLES study protocol: a randomised controlled trial to prevent atopic dermatitis, food allergy and sensitisation in infants with a family history of allergic disease using a skin barrier improvement strategy. doi:10.1136/bmjopen-2018-024594