À propos de l’auteure

Noelle Wong, M.D., FRCPC
Dre Noelle Wong est titulaire d’un certificat de dermatologue et de spécialiste en chirurgie micrographique de Mohs au Canada et aux États-Unis. Elle a obtenu son diplôme de médecine à l’université de Calgary et effectué sa résidence en dermatologie à l’Université Dalhousie. Elle a ensuite accompli une sous-spécialisation en chirurgie micrographique de Mohs et en oncologie dermatologique à l’Université de Colombie-Britannique (UBC). Elle occupe les postes d’instructrice clinique au département de dermatologie et des sciences de la peau de l’UBC, ainsi que de chef de service de dermatologie à l’hôpital Saint-Paul de Vancouver. Elle se passionne pour la dermatologie chirurgicale et procédurale, ainsi que pour la reconstruction faciale avancée après un cancer de la peau.
Actualité Dermatologique au Canada, Volume 3, Numéro 2, Mai 2022
Stratégies et techniques permettant de minimiser les cicatrices chirurgicales après des interventions et des excisions dermatologiques
Introduction
Les dermatologues pratiquent plus de chirurgies cutanées en cabinet que n’importe quel autre spécialiste. Étant donné la régularité des interventions et des excisions, les stratégies visant à minimiser les cicatrices chirurgicales peuvent se révéler utiles tant pour la satisfaction des patients que pour les résultats globaux des procédures. Que ce soit une simple fermeture de plaie linéaire ou de lambeaux complexes, les principes fondamentaux restent identiques en ce qui concerne la minimisation des cicatrices.
Cet article a pour but de fournir des perles pratiques que chaque dermatologue pourra ranger dans sa « boîte à outils » afin d’optimiser les cicatrices chirurgicales après des interventions et des excisions pratiquées au cabinet.
Préparation du terrain
Avant l’intervention chirurgicale proprement dite, il est essentiel de fixer des attentes réalistes pour le patient. On n’insistera jamais assez sur l’importance de prendre le temps d’informer les patients afin qu’ils sachent à quoi s’attendre. Voici quelques aspects importants à évoquer lors de la consultation qui précède l’intervention chirurgicale :
Temps de cicatrisation : cela peut paraître évident pour les cliniciens, mais il est étonnant de voir le nombre de patients à qui il faut rappeler que la cicatrisation chirurgicale prend du temps. On doit rappeler aux patients que la cicatrice n’aura son aspect définitif qu’un an plus tard (ou plus), après que la cicatrice aura eu la possibilité d’évoluer et de se remodeler.
Érythème/hyperpigmentation durables : il est fréquent que la peau des patients de phototype de Fitzpatrick (PF) I-III forme des cicatrices roses à rouges, et que celle de PF IV-VI forme des cicatrices hyperpigmentées/brunes durant la période qui suit immédiatement l’intervention. Ces manifestations liées à la cicatrisation s’estompent généralement pour prendre une couleur chair/blanche au bout d’un an (quoique les PF IV-VI puissent prendre plus de temps). Cet aspect doit être expliqué aux patients afin qu’ils comprennent l’évolution de la couleur de leur cicatrice et sachent à quoi s’attendre. Évidemment, les PF IV-VI présentent également un risque plus élevé de cicatrices hypertrophiques et chéloïdes, surtout sur le tronc.1
Imprévisibilité : on doit rappeler aux patients que la peau humaine est un organe vivant. Par conséquent, même si des techniques chirurgicales méticuleuses sont utilisées, la biologie et la cicatrisation de chaque patient sont des processus hétérogènes et donc imprévisibles.
Limitation des activités : il peut être utile de fournir des instructions préopératoires aux patients si la date de l’intervention/la chirurgie a été planifiée ou fixée afin de les aider à comprendre le besoin de limiter les activités. Si, par contre, la consultation et la chirurgie ont lieu le même jour, il est important de discuter de ces aspects lors du processus de consentement éclairé. Il est généralement très utile d’expliquer précisément aux patients les activités qu’ils doivent éviter (selon la région opérée). En règle générale, toute activité qui cause un étirement important de la région opérée au cours des deux premières semaines peut nuire considérablement à la cicatrisation. Cependant, les patients doivent également être informés que toute activité qui provoque une forte traction au niveau du site chirurgical (ou de la peau environnante) durant les deux premiers mois peut étirer/élargir la cicatrice et mener à un résultat esthétique sous-optimal (car les cicatrices sont très faibles au début de la période postopératoire et n’atteignent leur résistance maximale qu’après deux mois).2 Ceci est surtout important pour les régions de forte tension (telles que les épaules, le dos, le tibia, etc.).
Planification de l’incision
L’alignement de la fermeture le long de lignes de faible tension est un principe chirurgical fondamental. Toutefois, d’autres aspects dont on peut tenir compte sont les sous-unités esthétiques3 et les limites naturelles de la peau. Par exemple, une fermeture alignée le long du sillon alogénien ou du pli nasolabial produira un résultat beaucoup plus discret et esthétiquement plaisant que si elle est réalisée en dehors de ces limites préexistantes (Figures 1 et 2).

Figure 1: Excision d’un néoplasme bénin à cellules fusiformes. Notez que l’incision est pratiquée le long du pli nasolabial (plutôt que sur la lésion), car ce pli représente une limite naturelle entre les sous-unités esthétiques; image reproduite avec l’aimable autorisation du Noelle Wong, MD

Figure 2: Excision d’un nævus intradermique bénin. Notez que l’incision est pratiquée le long du pli nasolabial, car ce pli représente une limite naturelle entre les sous-unités esthétiques; image reproduite avec l’aimable autorisation du Noelle Wong, MD
Réalisation de l’incision
Pour faciliter la fermeture, augmenter l’éversion des berges de la plaie et maximiser la probabilité d’élimination totale de la lésion/tumeur souhaitée, les cliniciens doivent s’assurer de pratiquer une incision dont le bord est perpendiculaire (90 degrés)4,5 ou en biseau inversé (Figure 3)5. Un bord en biseau peut compliquer le rapprochement des berges de la plaie ou potentiellement mener à une ligne cicatricielle dont l’aspect sera plus affaissé/inversé. Il augmente également la probabilité d’une incision accidentelle en direction ou dans la lésion/tumeur à exciser, ce qui augmente le risque de marge positive.

Figure 3: Position de la lame pour obtenir un bord perpendiculaire (90 degrés), en biseau inversé ou en biseau. Pour faciliter la fermeture et éviter d’inciser accidentellement en direction ou dans la lésion/tumeur à exciser, il convient d’utiliser un bord perpendiculaire (90 degrés) ou en biseau inversé, et d’éviter un bord en biseau (figure d’après Nantel-Batista et Murray, 2015).
Sélection des fils de suture
Il faut toujours choisir des fils plus robustes pour les sutures profondes, et des fils plus fins pour les sutures de rapprochement de l’épiderme/en surface. Les sutures profondes assurent un soutien pendant que le derme et la cicatrice sont encore faibles et en cours de cicatrisation.6 Le fait de privilégier des fils de suture plus robustes, en particulier pour les zones de forte tension (par exemple, fil en Vicryl 2-0 sur le dos, les tissus mammaires lourds, les jambes inférieures) portera ses fruits durant le processus de cicatrisation et réduira le risque de cicatrice élargie/étirée. Les sutures en surface servent uniquement à rapprocher l’épiderme et ne sont pas destinées à soulager une quelconque tension.
Techniques de suture
Sutures sous-cutanées continues sur le corps : la peau du visage cicatrise tout à fait différemment de celle du corps, et tout ce qui n’est pas sur le visage peut comporter un risque plus élevé de « traces de voie ferrée » ou de « marques de perforation » permanentes dues aux sutures en surface (c’est-à-dire des sutures épidermiques simples continues ou interrompues) (Figure 4). Par contre, l’utilisation de sutures sous-cutanées continues en monocryl, si cela est possible, peut contribuer à éviter ces « traces de voie ferrée/marques de perforation » et offrir ainsi un meilleur résultat esthétique, plus élégant.7 L’enfouissement des nœuds ou l’exposition des extrémités des sutures relève de la préférence du clinicien, sachant dans ce cas que les patients chez qui les extrémités sont exposées devront revenir pour que celles-ci soient coupées au niveau de la peau.

Figure 4: Exemple de « traces de voie ferrée » ou de « marques de perforation » laissées par des sutures en surface sur le tronc à la suite d’une chirurgie rachidienne à distance (à gauche), et exemple de cicatrice laissée par une suture sous-cutanée continue sur la jambe inférieure, les flèches indiquent le début et la fin de la cicatrice (à droite); image reproduite avec l’aimable autorisation du Noelle Wong, MD
Modifications des sutures épidermiques continues : la technique de suture épidermique continue, dite « baseball », est très utile et efficace pour le rapprochement de l’épiderme, surtout sur le visage. Cependant, lorsqu’ils utilisent cette technique de suture, les cliniciens doivent éviter de serrer trop fermement les sutures. Ils doivent au contraire les laisser simplement reposer sur la surface de la peau (Figure 5). Les conseils susmentionnés sont importants, car un œdème post-chirurgical apparaîtra et les sutures serrées peuvent potentiellement causer un étranglement du bord de la plaie et une micro-ischémie qui produira des résultats moins esthétiques et des cicatrices plus marquées.6,8 Ceci est particulièrement vrai en cas d’utilisation d’un matériau de suture ayant moins d’élasticité/de plasticité inhérente, tel que les sutures Catgut à résorption rapide ou Vicryl Rapide (toutes deux étant des sutures en surface résorbables dont l’usage s’est encore accru durant la pandémie de la COVID-19) par rapport à des matériaux non résorbables plus classiques, notamment les sutures Ethilon ou Prolene.

Figure 5: Exemple de sutures épidermiques posées en évitant de les serrer trop fermement afin d’obtenir une cicatrice imperceptible (dans ce cas, utilisation de sutures Catgut à résorption rapide); image reproduite avec l’aimable autorisation du Noelle Wong, MD
Rapprochement de l’épiderme : le rapprochement des bords de l’épiderme est extrêmement important pour obtenir une cicatrice imperceptible. Si une berge de la plaie est plus haute ou plus basse que l’autre, le résultat esthétique final en sera affecté. Durant la fermeture de l’épiderme, le dermatologue doit constamment surveiller la présence d’un léger décalage entre les deux berges.6 Bien entendu, les tissus devraient également être rapprochés autant que possible à l’aide des sutures profondes, mais il arrive souvent que les contours naturels du visage ou du corps contribuent à un certain décalage. Dans ce cas, il est possible de procéder à des ajustements microscopiques en plaçant le point plus superficiellement sur la berge la plus haute et plus profondément sur la berge la plus basse de façon à « équilibrer » les deux côtés et les amener à la même hauteur.
Manipulation douce des tissus
La manipulation des tissus pendant la chirurgie est essentielle pour optimiser la cicatrisation. Si le tissu est manipulé brutalement ou serré trop fermement avec la pince, la lésion causée au tissu peut aggraver l’enflure, l’inflammation, la douleur postopératoire et les cicatrises atrophiques. Une conscience aiguë de ces séquelles et l’utilisation de pinces d’Adson de taille appropriée, spécifiques au type de tissu et au site chirurgical, peuvent contribuer à atténuer ces problèmes potentiels. De plus, l’utilisation maximale de crochets cutanés durant l’hémostase (et, selon la préférence personnelle de certains dermatologues, durant la suture) peut permettre d’éviter une compression inutile de la berge de la plaie.6
Soins postopératoires
Les soins postopératoires appropriés sont une composante essentielle pour une cicatrisation optimale et éviter au maximum les cicatrices. Un pansement compressif doit être appliqué pendant 24 heures en l’absence de complications et le pansement doit demeurer en place pendant 48 à 72 heures si les patients reçoivent une anticoagulothérapie. En cas de fermeture impliquant des sutures épidermiques en surface (sutures simples interrompues ou continues de type baseball), une pommade (Vaseline® ou Fucidin®) appliquée par le patient deux fois par jour pendant 3 semaines peut contribuer à créer un environnement humide favorable à la cicatrisation après le retrait du pansement compressif. Un assèchement des sutures pourrait mener à un résultat sous-optimal de la cicatrisation.
Pour les sutures continues sous-cutanées, l’application de bandes Steri-Strip sur l’incision peut contribuer à soulager toute traction/tension sur la peau dans les premières phases de la cicatrisation.9 L’utilisation d’un adhésif cutané tel que Mastisol® Liquid Adhesive avant l’application des bandes peut aider à prolonger le maintien des Steri-Strip sur l’incision (l’adhésif n’intervient pas dans la fermeture de la plaie, mais favorise l’adhésion des bandes). On peut demander aux patients de garder les Steri-Strip en place aussi longtemps que possible (au moins deux semaines ou jusqu’à ce que les bandes se décollent d’elles-mêmes). Les patients peuvent prendre une douche avec les Steri-Strip, puis les sécher en les tapotant, mais il convient de les informer que le site chirurgical ne doit pas être immergé dans une piscine ou un jacuzzi tant qu’il est recouvert par les Steri-Strip (ce qui est également important pour éviter le risque d’infection).
Enfin, il est vivement recommandé de conseiller aux patients l’utilisation stricte d’une protection solaire, car les cicatrices peuvent prendre un aspect plus érythémateux ou hyperpigmenté (selon le type de peau) en cas d’exposition directe au soleil.
La remise aux patients d’instructions écrites sur le soin des plaies postopératoires, simples et faciles à comprendre, qui seront expliquées verbalement à la fin de l’intervention, contribuera à maximiser la réussite.
Traitements d’appoint
Étant donné la nature imprévisible et la variabilité de la cicatrisation entre patients, et malgré une technique chirurgicale méticuleuse et le respect des soins appropriés de la part du patient, il peut être nécessaire dans de rares situations de prescrire des traitements d’appoint pour aider à affiner les cicatrices. Ces traitements dépassent le cadre de cet article, mais on peut notamment citer le kenalog intralésionnel,10,11 le 5-Flourouracil,10,11 la toxine botulique,12 le traitement laser,13 ou la dermabrasion.
Conclusion
Les interventions chirurgicales et les excisions font partie intégrante de la plupart des cabinets de dermatologie. On ne disposera certainement jamais d’une technique ou d’une approche unique qui fonctionne partout et au mieux pour tous les cliniciens. Ceci étant dit, il existe des mesures fondamentales liées aux interventions chirurgicales et aux excisions qui peuvent être adoptées malgré les préférences personnelles afin de compléter et améliorer les pratiques et protocoles existants.
Données et photos de patients utilisées avec la permission de Noelle Wong, M.D.
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