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À propos de l’auteur

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Diana Diao, MD, FRCPC

La Dre Diana Diao est dermatologue et instructrice clinique au département de dermatologie et de sciences de la peau de l’Université de Colombie britannique. Elle pratique la dermatologie médicale et cosmétique au Pacific Derm à Vancouver, et est également investigatrice adjointe d’essais cliniques. Dermatologue-conseil à l’Hôpital St. Paul de Vancouver, elle a terminé sa formation en médecine et sa résidence en dermatologie à l’Université de la Colombie-Britannique.

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 2, Numéro 2, Mai 2021

Supplémentation orale en dermatologie

Introduction

Les Canadiens achètent pour environ 1,2 milliard de dollars de vitamines et de suppléments oraux, également appelés « nutraceutiques »1. Les ventes au détail mondiales de nutraceutiques ont dépassé 382 milliards de dollars en 20192. Les produits de santé naturels ne sont pas soumis à un examen aussi rigoureux de Santé Canada que les médicaments en vente libre et d’ordonnance3, et un grand nombre de ces produits revendiquent des effets thérapeutiques sur la peau, les cheveux et les ongles. Comme dermatologues, nos patients nous posent souvent des questions au sujet des possibles bienfaits de divers suppléments oraux. Ces questions portent entre autres sur le rajeunissement de la peau, la santé des cheveux et des ongles, la photoprotection et les effets antioxydants et anti-inflammatoires pour des affections comme l’eczéma, le psoriasis, l’acné et l’hidrosadénite suppurée. Vu l’augmentation croissante de l’intérêt des patients et de la part du marché, de plus en plus d’études cliniques examinent les effets potentiels des suppléments oraux sur la peau. Il y a des milliers de produits sur le marché, mais cet article passe en revue les données concernant trois des produits les plus courants : le collagène, Polypodium leucotomos et les acides gras oméga-3. La discussion sur chacun de ces produits est résumée en fonction de la qualité des études4 et du niveau de preuve, établi à partir des critères du Tableau 1.

Tableau 1 : Niveau de preuve pour les essais thérapeutiques5

Collagène

Le collagène oral a la cote depuis de nombreuses années. En 2016, le marché du collagène était évalué à environ 3,7 milliards de dollars américains, et il devrait atteindre 6,6 milliards de dollars en 20256. Les produits commercialisés proviennent généralement de sources marine, bovine et porcine. On prête au collagène oral des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires, ainsi qu’un rôle dans la protection UV, l’hydratation de la peau et le durcissement des ongles7. Les produits dérivés du collagène sont dégradés dans l’appareil digestif en acides aminés (surtout des dipeptides et des tripeptides) avant d’être absorbés dans le sang, mais ils pourraient aussi être absorbés directement, selon un nombre croissant de données8.

Les études animales ont montré que l’absorption maximale dans la peau est obtenue 12 heures après la consommation et que plus de 85 % ont disparu de la circulation au bout de 24 heures9.

Une revue systématique et méta-analyse publiée en mars 2021 a évalué les effets des suppléments de collagène sur la peau. Regroupant 19 essais à double insu randomisés et contrôlés et 1125 sujets de 20 à 70 ans, la recherche rapporte des résultats favorables pour l’hydratation de la peau (mesurée par cornéométrie dans 10 études sur 13), l’élasticité (mesurée par cutométrie dans 11 études sur 15) et la réduction des rides (mesurée par répliques de peau en silicone avec analyse topographique 3D, dans 2 études sur 4, et par analyse photographique dans 2 études sur 4) après 90 jours d’usage10.  Une autre revue systématique des effets des suppléments diététiques dérivés du collagène sur la peau, effectuée en 2019, englobait 11 essais contrôlés randomisés et 805 participants11. Il en ressort que ces suppléments sont généralement sans danger. Huit études ont utilisé l’hydrosylate de collagène, à raison de 2,5 à 10 g par jour pendant 8 à 24 semaines, pour le traitement des plaies de pression, de la xérose, du vieillissement cutané et de la cellulite. Deux études ont porté sur le tripeptide de collagène, à 3 g par jour pendant 4 à 12 semaines, qui a amélioré de façon notable l’élasticité et l’hydratation de la peau. Dans la dernière étude, le dipeptide de collagène a affiché une efficacité contre le vieillissement de la peau proportionnelle à la dose12. La majorité de ces 11 études ont fait appel à la cutométrie pour mesurer l’élasticité et à la cornéométrie pour mesurer l’hydratation. Ces revues systématiques fournissent des indices de l’action des suppléments oraux de collagène contre le vieillissement cutané. L’utilisation de suppléments de collagène à cet effet est toutefois associée à un niveau de preuve 1A. D’autres études sont nécessaires pour élucider leur usage médical dans les maladies qui altèrent la fonction barrière de la peau comme la dermatite atopique et pour déterminer les schémas posologiques optimaux.

Polypodium leucotomos

Il y a quelques fabricants de ce supplément oral, extrait d’une espèce de fougère sud-américaine, qui aurait soi-disant des propriétés antioxydantes, photoprotectrices et anti-vieillissement en inhibant la production de dérivés réactifs de l’oxygène causée par les rayons UV13. Plusieurs études ont fait mention d’un rôle possible de Polypodium leucotomos dans la photoprotection et le photovieillissement14,15,16. Malgré un regain d’engouement pour les extraits de cette fougère ces dernières années, ceux-ci sont utilisés depuis les années 1970 dans le traitement de diverses affections cutanées, dont le psoriasis, la dermatite atopique, la lucite polymorphe et le mélasma. Ces usages ne sont étayés par aucune preuve scientifique solide jusqu’à maintenant17,18,19,20.

Seulement deux essais contrôlés randomisés portant sur ce supplément oral font état de résultats statistiquement significatifs. Dans la première étude, menée à double insu et contrôlée par placebo, l’administration de 240 mg de P. leucotomos deux fois par jour pendant 60 jours à 40 participants a augmenté la dose érythémateuse minimale (DEM) et a réduit l’intensité de l’érythème provoqué par les UV après 28 jours21.  Dans la seconde étude, publiée récemment – essai prospectif à l’insu de l’évaluateur, portant sur 44 patients atteints de vitiligo –, l’administration de 480 mg de P. leucotomos deux fois par jour combinée à une photothérapie UBV à bande étroite a augmenté la repigmentation et entraîné un taux de réponse au traitement plus élevé que l’association placebo-photothérapie22. Cependant, le niveau de preuve assigné à l’utilisation de P. leucotomos oral pour la protection UV et comme traitement d’appoint du vitiligo est 1B.

Acides gras oméga-3

Les principaux acides gras oméga-3 oraux qui font l’objet de recherches scientifiques sont l’acide alpha-linolénique (AAL), l’acide eicosapentaénoïque (AEP) et l’acide docosahexaénoïque (ADH). On trouve l’AAL dans les huiles végétales, comme l’huile de lin, l’huile de noix de Grenoble, l’huile de soja et l’huile de canola, alors que l’AEP et l’AHD sont présents dans le poisson, le krill et les huiles de poisson (originalement synthétisés par les micro-algues)23.  Les études indiquent que les acides gras oméga-3 pourraient avoir des propriétés antioxydantes et photoprotectrices pour la peau et une action favorable sur l’eczéma et le psoriasis. Bien qu’un déficit en acides gras oméga-3 puisse entraîner une maladie de la peau comme la dermatite, on ne connaît pas le seuil de concentration sérique au-dessous duquel la dermatite peut se manifester24.  

Une revue de 38 études – ECR conformes aux critères d’admissibilité –, publiée en 2020, évaluant le rôle des suppléments d’acides gras oméga-3 dans diverses affections, a mis en évidence des effets thérapeutiques statistiquement significatifs dans le psoriasis, la dermatite atopique, l’acné et les ulcères cutanés25.  

La preuve pour l’utilisation des suppléments d’oméga-3 dans ces contextes n’est toutefois que de niveau 1B.

Conclusion

Le rôle des nutraceutiques dans la santé de la peau est une source fréquente de questions de la part des patients et d’incertitude de la part des médecins. Les données probantes corroborant l’efficacité et l’innocuité de plusieurs suppléments dans le traitement des affections dermatologiques sont limitées, et je déconseille leur utilisation en remplacement des traitements prescrits. Cet article résume les données existantes relatives à trois des suppléments oraux les plus courants qui pourraient susciter la curiosité des patients. Avec les bons patients, je discuterais des bienfaits potentiels des suppléments oraux, en appoint aux traitements prescrits, surtout si leur apport alimentaire est insuffisant. Par exemple, il est peu probable que les suppléments d’oméga-3 guérissent le psoriasis ou la dermatite en monothérapie, mais ils pourraient être utiles selon certaines données. P. leucotomos peut être utilisé en plus et non à la place d’un filtre solaire et de vêtements qui protègent des rayons UV pour contrer les effets nocifs du soleil. Je pourrais suggérer une photothérapie à certains patients qui ont un vitiligo, à la lumière des récentes publications. Les suppléments ne sont pas gratuits, et avant qu’une patiente s’appuie uniquement sur le collagène oral pour lutter contre le vieillissement cutané, il faut qu’elle comprenne l’importance de saines habitudes de vie (protection solaire, non-tabagisme, alimentation saine, sommeil réparateur, activité physique régulière et, peut-être, usage d’un rétinoïde topique). Pour des patients sélectionnés, il peut être raisonnable de recourir à des suppléments de collagène, de P. leucotomos ou d’acides gras oméga-3 en raison de leur facilité d’administration, du faible risque d’effets indésirables et de l’accumulation de données appuyant leurs bienfaits potentiels.

Références

1 Nutraceutical World < https://www.nutraceuticalsworld.com/issues/2018-12/view_features/potential-for-natural-health-products-in-canada-shifting-into-high-gear/>, December 6, 2018.

2 Grand View Researhc <https://www.grandviewresearch.com/industry-analysis/nutraceuticals-market>

3 Health Canada-Natural health products < https://www.canada.ca/en/health-canada/services/drugs-health-products/natural-non-prescription.html>

4 Higgins JP, Altman DG, Gøtzsche PC, Jüni P, Moher D, Oxman AD, Savovic J, Schulz KF, Weeks L, Sterne JA; Cochrane Bias Methods Group; Cochrane Statistical Methods Group. The Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias in randomised trials. BMJ. 2011 Oct 18;343:d5928. doi: 10.1136/bmj.d5928. PMID: 22008217; PMCID: PMC3196245.

5 Centre for Evidence-Based Medicine <https://www.cebm.net>

6 JDD online < https://jddonline.com/oral-collagen-supplementation-a-systematic-review-of-dermatological-applications>

7 Vollmer DL, West VA, Lephart ED. Enhancing Skin Health: By Oral Administration of Natural Compounds and Minerals with Implications to the Dermal Microbiome. Int J Mol Sci. 2018 Oct 7;19(10):3059. doi: 10.3390/ijms19103059. PMID: 30301271; PMCID: PMC6213755.

8 Zague V, do Amaral JB, Rezende Teixeira P, de Oliveira Niero EL, Lauand C, Machado-Santelli GM. Collagen peptides modulate the metabolism of extracellular matrix by human dermal fibroblasts derived from sun-protected and sun-exposed body sites. Cell Biol Int. 2018 Jan;42(1):95-104. doi: 10.1002/cbin.10872. Epub 2017 Oct 9. PMID: 28906033.

9 Oesser S, Adam M, Babel W, Seifert J. Oral administration of (14)C labeled gelatin hydrolysate leads to an accumulation of radioactivity in cartilage of mice (C57/BL). J Nutr. 1999 Oct;129(10):1891-5. doi: 10.1093/jn/129.10.1891. PMID: 10498764.

10 de Miranda RB, Weimer P, Rossi RC. Effects of hydrolyzed collagen supplementation on skin aging: a systematic review and meta-analysis. Int J Dermatol. 2021 Mar 20. doi: 10.1111/ijd.15518. Epub ahead of print. PMID: 33742704.

11 Choi FD, Sung CT, Juhasz ML, Mesinkovsk NA. Oral Collagen Supplementation: A Systematic Review of Dermatological Applications. J Drugs Dermatol. 2019 Jan 1;18(1):9-16. PMID: 30681787.

12 Choi FD, Sung CT, Juhasz ML, Mesinkovsk NA. Oral Collagen Supplementation: A Systematic Review of Dermatological Applications. J Drugs Dermatol. 2019 Jan 1;18(1):9-16. PMID: 30681787.

13 Nestor MS, Berman B, Swenson N. Safety and Efficacy of Oral Polypodium leucotomos Extract in Healthy Adult Subjects. J Clin Aesthet Dermatol. 2015 Feb;8(2):19-23. PMID: 25741399; PMCID: PMC4345929.

14 Middelkamp-Hup MA, Pathak MA, Parrado C, Goukassian D, Rius-Díaz F, Mihm MC, Fitzpatrick TB, González S. Oral Polypodium leucotomos extract decreases ultraviolet-induced damage of human skin. J Am Acad Dermatol. 2004 Dec;51(6):910-8. doi: 10.1016/j.jaad.2004.06.027. PMID: 15583582.

15 González S, Pathak MA, Cuevas J, Villarrubia VG, Fitzpatrick TB. Topical or oral administration with an extract of Polypodium leucotomos prevents acute sunburn and psoralen-induced phototoxic reactions as well as depletion of Langerhans cells in human skin. Photodermatol Photoimmunol Photomed. 1997 Feb-Apr;13(1-2):50-60. doi: 10.1111/j.1600-0781.1997.tb00108.x. PMID: 9361129.

16 Middelkamp-Hup MA, Pathak MA, Parrado C, Garcia-Caballero T, Rius-Díaz F, Fitzpatrick TB, González S. Orally administered Polypodium leucotomos extract decreases psoralen-UVA-induced phototoxicity, pigmentation, and damage of human skin. J Am Acad Dermatol. 2004 Jan;50(1):41-9. doi: 10.1016/s0190-9622(03)02732-4. PMID: 14699363.

17 Padilla HC, Laínez H, Pacheco JA. A new agent (hydrophilic fraction of polypodium leucotomos) for management of psoriasis. Int J Dermatol. 1974 Sep-Oct;13(5):276-82. doi: 10.1111/j.1365-4362.1974.tb05081.x. PMID: 4609374.

18 Ramírez-Bosca A, Zapater P, Betlloch I, Albero F, Martínez A, Díaz-Alperi J, Horga JF; Grupo de Anapsos en Dermatitis Atópica y centros de realización del estudio. Polypodium leucotomos extract in atopic dermatitis: a randomized, double-blind, placebo-controlled, multicenter trial. Actas Dermosifiliogr. 2012 Sep;103(7):599-607. English, Spanish. doi: 10.1016/j.ad.2012.01.008. Epub 2012 May 3. PMID: 22560125.

19 Tanew A, Radakovic S, Gonzalez S, Venturini M, Calzavara-Pinton P. Oral administration of a hydrophilic extract of Polypodium leucotomos for the prevention of polymorphic light eruption. J Am Acad Dermatol. 2012 Jan;66(1):58-62. doi: 10.1016/j.jaad.2010.09.773. Epub 2011 Jun 22. PMID: 21696853.

20 Ahmed AM, Lopez I, Perese F, Vasquez R, Hynan LS, Chong B, Pandya AG. A randomized, double-blinded, placebo-controlled trial of oral Polypodium leucotomos extract as an adjunct to sunscreen in the treatment of melasma. JAMA Dermatol. 2013 Aug;149(8):981-3. doi: 10.1001/jamadermatol.2013.4294. PMID: 23740292.

21 Nestor MS, Berman B, Swenson N. Safety and Efficacy of Oral Polypodium leucotomos Extract in Healthy Adult Subjects. J Clin Aesthet Dermatol. 2015 Feb;8(2):19-23. PMID: 25741399; PMCID: PMC4345929.

22 Pacifico A, Damiani G, Iacovelli P, Conic RRZ; Young Dermatologists Italian Network (YDIN), Gonzalez S, Morrone A. NB-UVB plus oral Polypodium leucotomos extract display higher efficacy than NB-UVB alone in patients with vitiligo. Dermatol Ther. 2021 Jan 12:e14776. doi: 10.1111/dth.14776. Epub ahead of print. PMID: 33433041.

23 Omega-3 Fatty Acids-Fact Sheet for Health Professionals < https://ods.od.nih.gov/factsheets/Omega3FattyAcids-HealthProfessional/>

24 Institute of Medicine, Food and Nutrition Board. Dietary reference intakes for energy, carbohydrate, fiber, fat, fatty acids, cholesterol, protein, and amino acids (macronutrients). Washington, DC: National Academy Press; 2005.

25 Thomsen BJ, Chow EY, Sapijaszko MJ. The Potential Uses of Omega-3 Fatty Acids in Dermatology: A Review. J Cutan Med Surg. 2020 Sep/Oct;24(5):481-494. doi: 10.1177/1203475420929925. Epub 2020 May 28. PMID: 32463305.