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À propos de l’auteur

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Pamela M. O’Connor MD, PhD, FRCPC

La Dre O’Connor est une dermatologue qui pratique la dermatologie à Vancouver, en Colombie-Britannique. Elle est instructrice clinique au département de dermatologie et de sciences de la peau de l’Université de Colombie-Britannique. Elle est diplômée du programme M.D./Ph.D. de l’Université de Calgary et a fait sa résidence en dermatologie à l’Université de Colombie-Britannique.

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 1, Numéro 1, Février 2020

Syphilis : Rapport de cas et mise à jour à l’intention des dermatologues

Rapport de cas : Une femme de 26 ans, autrement en bonne santé, présente depuis un mois des antécédents d’ulcères ovales sur la langue et des papules écaillées brun-rouge sur les paumes, la plante des pieds, le tronc et les bras (figure 1). Elle n’a aucun souvenir d’antécédents d’ulcération génitale et ne présente aucun symptôme systémique. Son médecin traitant a d’abord établi un diagnostic de maladie infectieuse pieds-mains-bouche, mais l’éruption a persisté et son médecin l’a recommandée aux soins d’un dermatologue. Elle a déclaré avoir un partenaire sexuel régulier de sexe masculin depuis quelques années. 

Sur la base d’indices cliniques, une sérologie de la syphilis a été demandée et une biopsie de la peau a été effectuée sur une lésion palmaire. Le dosage immunoenzymatique de Treponema pallidum (EIA) était réactif, et le test rapide de la réagine plasmatique (RPR) était positif à 1:128. Le résultat du test de dépistage du VIH était négatif. La biopsie de la peau a révélé une dermatite lichénoïde et périvasculaire, avec une coloration immunohistochimique positive pour les spirochètes, ce qui correspond au diagnostic clinique et sérologique de la syphilis secondaire. Elle a été traitée avec 2,4 millions d’unités de benzathine benzylpénicilline administrées en une injection intramusculaire au British Columbia Centre for Disease Control. Ses partenaires sexuels ont été identifiés et avisés. 

Épidémiologie

L’incidence de la syphilis a augmenté au cours des deux dernières décennies. Au Canada, le taux de syphilis infectieuse (stades primaire, secondaire et latent précoce) a augmenté de 85 % entre 2010 et 2015, les taux les plus élevés ayant été enregistrés en Colombie-Britannique, au Nunavut et au Manitoba1. Des taux d’augmentation semblables ont été signalés dans d’autres pays développés, comme les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni1.

Les taux de syphilis les plus élevés ont été observés chez les hommes. Les hommes séropositifs pour le VIH qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HARSAH) sont touchés de manière disproportionnée. Au Canada, l’incidence globale de la syphilis est > 300 fois plus élevée chez les HARSAH infectés par le VIH que dans la population masculine en général2. Cette situation est particulièrement préoccupante, parce que l’infection par la syphilis augmente le risque de transmettre et de contracter le VIH, et qu’elle est associée à une augmentation de la charge virale du VIH3.  

Plusieurs raisons expliquent l’augmentation du nombre de cas de syphilis chez les HARSAH.  Les progrès réalisés dans la prise en charge du VIH ainsi que l’adoption plus récente de la prophylaxie préexposition au VIH ont donné lieu à une perception plus optimiste des risques liés au VIH chez les HARSAH. Ce soi-disant « optimisme à l’égard du VIH » a entraîné une augmentation des comportements sexuels à risque, une diminution de l’utilisation des préservatifs et une augmentation des cas d’infections transmissibles sexuellement (ITS)4. Parmi les autres comportements en cause dans l’augmentation des cas d’IST chez les HARSAH figurent le sérotriage (rapports sexuels non protégés avec des partenaires ayant le même statut par rapport au VIH) et la rencontre de partenaires sexuels par l’entremise des applications de rencontre en ligne5, 6. 

Fait intéressant, on observe une augmentation disproportionnée de l’incidence de la syphilis comparativement à celle d’autres ITS, phénomène que les changements en matière de normes et de comportements ne permettent pas d’expliquer. Entre 2005 et 2014, le nombre de cas de syphilis infectieuse a augmenté de 90 % en Colombie-Britannique, comparativement à une augmentation de 40 % pour les cas de chlamydia et de 64 % pour les cas de gonorrhée au cours de la même période. La majorité de ces cas ont été signalés chez des HARSAH séropositifs pour le VIH, ce qui est à la source de l’hypothèse selon laquelle la thérapie antirétrovirale entraverait l’immunité anti-tréponémique en dégradant à la fois les réponses immunitaires innées et acquises à T. pallidum. Mais, cette hypothèse n’a toutefois pas encore été vérifiée7.

Malgré le nombre de cas nettement supérieur chez les hommes, l’incidence des cas de syphilis a également augmenté de façon constante chez les femmes. Parallèlement, l’incidence de cas de syphilis congénitale a augmenté1. Dans la population hétérosexuelle, la transmission de la syphilis chez les hommes et les femmes est associée à la consommation de drogues illicites, tout particulièrement les méthamphétamines et les drogues injectables8. Dans le cas présent, la patiente ne présentait aucun des facteurs de risque susmentionnés, ce qui renforce l’importance de tenir compte de la syphilis dans le diagnostic différentiel chez tous les patients, quel que soit leur profil démographique.  

Présentation clinique

Les phases primaire, secondaire et latente précoce de la syphilis sont hautement infectieuses et une intervention rapide est de toute première importante pour circonscrire la propagation de l’infection. Sans traitement, les signes et symptômes de la syphilis au stade primaire et secondaire disparaissent spontanément lorsque l’infection évolue vers la phase latente. Si ces stades ne sont pas détectés, le patient risque de développer une syphilis tertiaire qui peut affecter le système cardiovasculaire, les os, la peau (lésions nodulo-ulcéreuses ou gommeuses syphilitiques) et d’autres organes. Le risque de développer une atteinte neurologique, oculaire ou otique est présent à tout stade de l’infection9. 

Bien que la plupart des dermatologues incluent le chancre syphilitique dans le diagnostic différentiel d’un ulcère génital solitaire et indolore, des présentations moins courantes peuvent poser un défi diagnostique. Les chancres peuvent être multiples, ils peuvent se présenter à des endroits moins courants (doigts, mamelons et surfaces kératinisées et muqueuses des zones orales et anogénitales). Par ailleurs, les chancres précoces peuvent prendre la forme de papules avant l’ulcération10.    

Jusqu’à 97 % des cas de syphilis secondaire mettent en cause la peau ou la muqueuse, et leur présentation clinique varie énormément. Les manifestations cutanées peuvent survenir en présence ou en l’absence de lymphadénopathie ou de symptômes systémiques11. Ce cas nous rappelle certaines des caractéristiques morphologiques classiques de la syphilis secondaire. Les papules érythémateuses au niveau des paumes et du torse montrent une desquamation classique (collarette de Biett). Les lésions orales ont la morphologie caractéristique des plaques muqueuses, qui présentent des plaques ovales bien délimitées, des érosions ou des ulcères peu profonds, avec une bordure surélevée et une surface membraneuse grise. Les plaques muqueuses peuvent également mettre en cause la muqueuse buccale, aux lèvres et aux commissures buccales (« papules fendues »).  Presque toutes les morphologies peuvent toutefois être présentes, notamment les formes psoriasiformes, annulaires et lichénoïdes, les éruptions nodulaires, la leucodermie et l’alopécie non cicatricielle par plaques, au nombre d’une longue liste de manifestations moins courantes9.

De nouvelles variantes cliniques de la syphilis continuent d’être décrites. Une variante de la vascularite urticarienne a été signalée récemment chez un individu séronégatif pour le VIH. Ce patient présentait des plaques urticariennes persistant au-delà de 24 heures et un dépôt de complément et de fibrinogène autour des vaisseaux sanguins et à la jonction dermo-épidermique. La coloration immunohistochimique des spirochètes révélait une invasion marquée de tréponèmes  dans l’épiderme12. La syphilis secondaire peut imiter le pemphigus vulgaire, tant sur le plan clinique que sur le plan histologique13. Un autre rapport fait état d’une croûte hémorragique au niveau des lèvres et d’une éruption pustulaire diffuse au niveau du tronc chez un individu séropositif pour le VIH atteint de syphilis secondaire14. Ces présentations placent la syphilis dans le diagnostic différentiel pour les éruptions bulleuses ou pustulaires médicamenteuses, les désordres immunobulleux et d’autres infections bactériennes et virales, comme l’impétigo et la varicelle.  Il est important de noter que la syphilis peut se présenter avec des résultats cutanés atypiques chez les personnes séropositives pour le VIH, ce qui devrait augmenter l’indice clinique de présomption de la syphilis et abaisser le seuil requis pour procéder à un dépistage de la syphilis dans ce groupe de patients. 

Tests diagnostiques

Bien que les particularités des tests de dépistage de la syphilis varient d’une province à l’autre, la plupart des laboratoires au Canada ont adopté un algorithme de test à séquence inversée15. Cet algorithme implique l’utilisation d’un test de dépistage initial automatisé (p. ex. l’EIA ou l’immunoessai de chimiluminescence; CLIA) pour détecter la présence d’anticorps anti-tréponèmes IgM et IgG. Une fois réactifs, les tests tréponémiques le restent généralement pendant toute la vie du patient, bien qu’un faible taux de séroréversion puisse être observé lorsque l’infection est traitée au tout début du stade primaire16. 

Les prélèvements qui présentent des résultats positifs d’observation de tréponèmes sont soumis à un test non tréponémique (généralement le RPR). Le test non tréponémique est utilisé aux fins de détermination du stade de la maladie, de surveillance de la réponse au traitement et de détermination d’une réinfection. Le RPR mesure la présence d’anticorps anticardiolipines, qui sont formés par l’hôte en réponse au matériel lipoïde libéré par les cellules hôtes endommagées, fournissant ainsi un indicateur approximatif de l’activité de la maladie16. C’est pour cette raison que le RPR peut également être positif en présence de nombreux autres facteurs, notamment des maladies inflammatoires chroniques, d’autres infections, une grossesse ou l’utilisation de drogues injectables. Des résultats de tests non tréponémiques faussement négatifs peuvent également se produire, au début ou à la fin de l’infection. Mais cette situation se présente rarement lorsqu’une très forte concentration d’anticorps interfère avec le mécanisme du test (le phénomène de prozone)9.

Enfin, un test tréponémique très spécifique (tel que le test d’agglutination de particules [TP-PA] et le test d’immunofluorescence absorbée [FTA-ABS] utilisés pour détecter la présence d’anticorps dirigés contre Treponema pallidum) peut être effectué aux fins de confirmation16. Dans certaines provinces ce test de confirmation s’applique systématiquement à tous les prélèvements, alors que dans d’autres provinces, ce test n’est effectué qu’en présence d’une discordance entre les résultats des tests tréponémiques et non tréponémiques15.

Un risque de sérologie faussement négative est présent au stade précoce de la syphilis, avant le développement des anticorps. Par conséquent, si le soupçon clinique de syphilis précoce est élevé, mais que la sérologie est négative, le test devrait être répété après 2 à 4 semaines15.  Une biopsie de la peau avec coloration immunohistochimique faisant appel à des anticorps contre les antigènes tréponémiques pourrait être un outil diagnostic utile dans un tel cas. Ces taches sont beaucoup plus sensibles et spécifiques que les taches d’argent utilisées précédemment, telles que les taches Warthin-Starry11. De plus, T. pallidum peut être détecté directement par PCR sur des frottis d’exsudats lésionnels prélevés sur chancre syphilitique ou par microscopie en fond noir. Toutefois, des considérations pratiques (c.-à-d. la disponibilité du test ou des frottis) peuvent limiter l’utilité de ces tests en clinique de dermatologie. 

Le succès de la réponse au traitement est mesuré à la fois par l’amélioration clinique et la réduction des titres au test non tréponémique. Le RPR doit être répété à des intervalles précis après le traitement, ceux-ci variant en fonction du stade d’évolution de la syphilis et des comorbidités.  Chez les patients traités avec succès contre la syphilis, les tests non tréponémiques finissent généralement par être non réactifs16.  L’interprétation des tests de dépistage de la syphilis peut être complexe. Le diagnostic et la prise en charge ne peuvent pas reposer uniquement sur les tests sérologiques actuels. Les résultats doivent être interprétés dans le contexte des antécédents cliniques et sérologiques pour déterminer s’il s’agit d’un nouveau cas ou d’un cas ayant déjà été traité. Par ailleurs, s’il s’agit d’un nouveau cas, il faut déterminer son stade d’évolution.  Compte tenu de cette complexité et de la nécessité d’effectuer un suivi et d’aviser les partenaires sexuels, la prise en charge de la syphilis doit se faire en coordination avec les spécialistes des maladies infectieuses et les services de santé publique.  

Conclusion

La résurgence de la syphilis est préoccupante, tant du point de vue de chaque patient que de celui de la santé publique. Armés d’une meilleure connaissance des manifestations muco-cutanées et en faisant constamment preuve d’une vigilance soutenue en milieu clinique, les dermatologues peuvent contribuer au contrôle et à l’élimination de la syphilis infectieuse.

Figure 1 : Images cliniques de la syphilis secondaire. A) Plaques muqueuses sur la langue. B, C et D) Papules érythémateuses avec collerette caractéristique d’écailles sur les paumes et le tronc.

References

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4. Traeger, M.W., et al., Association of HIV Preexposure Prophylaxis With Incidence of Sexually Transmitted Infections Among Individuals at High Risk of HIV Infection.

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6. Marcus, U., A.J. Schmidt, and O. Hamouda, HIV serosorting among HIV-positive men who have sex with men is associated with increased self-reported incidence of bacterial sexually transmissible infections. Sexual Health, 2011. 8(2): p. 184.

7. Rekart, M.L., et al., A double-edged sword: does highly active antiretroviral therapy contribute to syphilis incidence by impairing immunity toTreponema pallidum? Sexually Transmitted Infections, 2017. 93(5): p. 374-378.

8. Kidd SE, G.J., Torrone WA, Weinstock MD, Increased methamphetamine, injection drug and heroin use among women and heterosexual men with primary and secondary syphilis – United States, 2013-2017. . MMWR Morb Mortal Wkly Rep, 2019. 68(6): p. 144-8.

9. Forrestel, A.K., C.L. Kovarik, and K.A. Katz, Sexually acquired syphilis. Journal of the American Academy of Dermatology, 2020. 82(1): p. 17-28.

10. Katz, A.R., et al., Dermatologically challenging syphilis presentation.

11. Forrestel, A.K., C.L. Kovarik, and K.A. Katz, Sexually acquired syphilis. Journal of the American Academy of Dermatology, 2020. 82(1): p. 1-14.

12. Miyachi, H., T. Taniguchi, and H. Matsue, Syphilis imitating urticarial vasculitis.

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14. Tanizaki, R., Gangrene-like cheilitis and pustular eruptions in a patient with secondary syphilis.

15. Agence de la santé publique du Canada. Lignes directrices canadiennes sur les infections transmissibles sexuellement – Prise en charge et traitement d’infections spécifiques – Syphilis. 2018. Accessible à l’adresse : https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies-infectieuses/sante-sexuelle-infections-transmissibles-sexuellement/lignes-directrices-canadiennes/infections-transmissibles-sexuellement/lignes-directrices-canadiennes-infections-transmissibles-sexuellement-27.html

16. Shah, D. and Y.S. Marfatia, Serological tests for syphilis. Indian J Sex Transm Dis AIDS, 2019. 40(2): p. 186-191.