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À propos de l’auteure

Maxwell B. Sauder

Maxwell Sauder, M.D.

Dr Sauder est actuellement professeur adjoint à la division de dermatologie de l’Université de Toronto. Il est oncologue- dermatologue au Princess Margaret Cancer Centre et directeur de recherche au Toronto Research Centre. Il a obtenu son doctorat en médecine à l’Université McMaster, a fait sa résidence en dermatologie à l’Université d’Ottawa et a suivi une formation complémentaire en oncologie cutanée à la Harvard Medical School.

Actualité Dermatologique au Canada, Volume 3, Numéro 4, December 2022

Traitements systémiques des cancers de la peau non mélaniques

Un cancer sur trois qui est diagnostiqué est un cancer de la peau, tant mélanique que non mélanique.1 Le cancer de la peau non mélanique (CPNM), dont le carcinome basocellulaire (CB), le carcinome épidermoïde (CE) et également d’autres CPNM plus rares tels que le carcinome à cellules de Merkel (CCM), représente la majorité des cancers de la peau diagnostiqués au Canada et dans le monde. Toutefois, la plupart des registres provinciaux et territoriaux du cancer ne répertorient pas le CPNM, ce qui complique la caractérisation de l’incidence et des résultats. Sa prise en charge est assurée quotidiennement par les dermatologues du Canada au moyen de traitements topiques et chirurgicaux. Dans de rares cas cependant, ce type de cancer peut évoluer jusqu’à un stade non résécable, localement destructeur, métastatique et même mortel. Pour faire face à un CPNM évolutif et en faciliter la prise en charge, on dispose d’options de traitement systémique. L’objectif de cet article est de passer en revue les traitements systémiques courants qui permettent la prise en charge des CPNM localement avancés, non résécables et/ou métastatiques.

Le carcinome basocellulaire (CB)

Selon les estimations de l’incidence, les CB sont la forme la plus courante de CPNM; cependant, certaines études montrent que l’incidence du CE peut être égale à celle du CB.2,3 On estime qu’entre 0,0028 % et 1 % des CB atteindront le stade localement avancé ou métastatique.4,5 Une tumeur localement avancée est définie comme une tumeur qui a envahi les tissus, les nerfs, les muscles, les os sous-jacents, ou les organes environnants tels que les yeux, les oreilles ou le nez. Au Canada, il existe 2 traitements systémiques approuvés pour le CB localement avancé ou métastatique : le vismodégib et le cémiplimab.

Les mutations qui surviennent dans la voie de signalisation Hedgehog (Hh), qui touchent notamment les gènes PTCH1, PTCH2, SMO ou SUFU et entraînent une activation constitutive, sont responsables d’environ 90 % des cas de CB sporadiques et familiaux.6 Le vismodégib est une petite molécule administrée par voie orale qui bloque l’activation de Hh en se liant au gène SMO, menant ainsi à une inactivation en aval (Figure 1). Le vismodégib a été approuvé au Canada en 2013 pour les patients adultes atteints d’un CB métastatique ou d’un CB localement avancé inadmissible à une chirurgie ou à une radiothérapie.7 L’approbation reposait sur l’étude pivot ERIVANCE BCC dont les résultats ont démontré que le vismodégib réduisait la taille des tumeurs localement avancées de 43 % et les lésions métastatiques de 30 % avec une durée médiane de réponse de 7,6 mois (Figure 2).8 La dose approuvée de vismodégib est de 150 mg par voie orale une fois par jour. Les effets indésirables les plus fréquents (≥ 20 %) sont les spasmes musculaires, l’alopécie, la dysgueusie, la perte pondérale, la fatigue, les nausées, la diminution de l’appétit et la diarrhée (Tableau 1).8 Ces effets indésirables limitent souvent la durée du traitement et/ou nécessitent une interruption du médicament afin d’assurer leur prise en charge. Par rapport à l’immunothérapie qui peut avoir un effet durable longtemps après l’arrêt du traitement, les patients ne retirent des avantages du vismodégib que durant la prise du médicament.

Figure 1. La voie des inhibiteurs de Hedgehog. (A) En l’absence du ligand Sonic Hedgehog, le récepteur Patched (PTCH) inhibe l’activité du récepteur Smoothened (Smo), ce qui permet au suppresseur de la protéine kinase Fused (SUFU) de se lier aux facteurs de transcription GLI et de les inactiver. (B) La liaison du ligand Sonic Hedgehog à PTCH entraîne l’activation de Smo et empêche ainsi SUFU de se lier à GLI. Les facteurs de transcription GLI sont alors capables de pénétrer dans le noyau et de moduler la transcription des gènes associés à la voie Hedgehog. (C) Le vismodégib et le LDE225 inhibent l’activation de Smo et empêchent ainsi l’inhibition de la liaison de SUFU ainsi que les modifications subséquentes dans la transcription des gènes associés à la voie Hedgehog; d’après JT Lear, 2014

Figure 2. Exemples représentatifs de réponses individuelles de patients. Lésion cible sur la tempe gauche d’un homme de 82 ans au moment de la sélection (A), à 8 semaines (B), à 16 semaines (C), et à 24 semaines (D); d’après Chang et coll, 2016

Tableau 1. Effets indésirables fréquemment signalés, selon le grade; d’après Sekulic et coll., 2012

En 2021, le cémiplimab a été approuvé pour les CB localement avancés déjà traités par un inhibiteur de la voie Hedgehog. Le cémiplimab est un anticorps monoclonal qui inhibe le récepteur PD1 sur les lymphocytes T. La dose approuvée de cémiplimab est de 350 mg, administrée par perfusion intraveineuse de 30 minutes toutes les 3 semaines. La charge mutationnelle tumorale (CMT) est un facteur prédictif de la réponse à l’immunothérapie.9 Parmi les cancers de la peau, le mélanome, le CE et le CCM à virus négatif présentent la CMT la plus élevée.10 Ainsi, bien que les CB puissent répondre à l’immunothérapie, le taux de réponse est inférieur à celui des autres cancers de la peau. Le cémiplimab peut donc être utilisé comme traitement de deuxième intention pour le CB localement avancé ou métastatique.

Le carcinome épidermoïde et le carcinome à cellules de Merkel

L’immunothérapie est à l’origine d’un changement de paradigme dans la prise en charge des cancers. Plutôt que des traitements ciblant les tumeurs, tels que les chimiothérapies classiques ou les traitements ciblés, les immunothérapies activent le système immunitaire qui n’avait initialement pas été capable de défendre l’organisme contre la tumeur. Il existe un nombre croissant de cibles immunothérapeutiques approuvées et une liste d’indications qui ne cesse de s’allonger. Dans le cas des cancers de la peau, les cibles approuvées des points de contrôle de la réponse immunitaire sont notamment CTLA4, PD-1 et PDL-1 (Figure 3).

Figure 3. Blocage de PD-1 ou CTLA-4; d’après The role of immunotherapy in treating solid cancers, Jan/Feb 2017

Figure 4. Cas représentatifs de patients ayant obtenu une réponse majeure au cémiplimab. (A) Une femme de 88 ans avec un grand carcinome épidermoïde cutané localement avancé (CECla) de la région nasale-infra-orbitaire gauche obtenant une réponse complète. Elle n’avait pas reçu de radiothérapie antérieure ni de traitement systémique anticancéreux. (B) Un homme de 89 ans présentant une large tumeur de type CECla dans la région parotidienne droite a obtenu une réponse complète après 6 cycles de cémiplimab et une radiothérapie simultanée. (C, D) Un homme de 67 ans présentant un carcinome épidermoïde cutané métastatique sous traitement immunosuppresseur en raison d’une transplantation rénale antérieure. Le patient a obtenu une réponse quasi-complète tant au niveau de la zone zygomatique droite que des lésions pulmonaires métastatiques; disponible auprès de Strippoli, Sabino, et al., 2021.

Le cémiplimab, un anticorps monoclonal anti-PD-1 entièrement humain, a été approuvé en 2019 pour les patients atteints d’un CE cutané localement avancé ou métastatique qui ne sont pas admissibles à une chirurgie curative ou à une radiothérapie curative.11 La dose approuvée est la même que pour le CB. L’étude EMPOWER-CSCC-1 (Étude 1540) et deux cohortes d’extension composées de patients atteints d’un CE cutané avancé, évaluées lors d’une étude de phase I multicentrique, ouverte et sans répartition aléatoire (Étude 1423), ont permis de démontrer une réponse au cémiplimab chez environ la moitié des patients.12 Les effets indésirables sont similaires à ceux des autres inhibiteurs de points de contrôle de la réponse immunitaire, notamment une dermatite ou une éruption cutanée, une pneumonite, une colite, une hépatite et une thyroïdite entraînant une hypothyroïdie. Récemment, la publication des données à long terme des études pivots originales, incluant une durée médiane de suivi de 15,7 mois, a révélé une survie globale (SG) de 73 % (IC de 95 % : 66,1 % à 79,2 %) à 24 mois, mais la SG médiane n’a pas été atteinte.13 Le cémiplimab est un traitement de première intention pour le CE localement avancé ou métastatique.

L’avélumab, un anticorps monoclonal anti-PD-L1 entièrement humain, a été approuvé en 2018 pour les patients adultes atteints d’un CCM métastatique déjà traité (traitement de deuxième intention). La dose approuvée d’avélumab est de 10 mg/kg de poids corporel, administrée par voie intraveineuse pendant 60 minutes toutes les 2 semaines. L’approbation du médicament reposait sur les résultats de l’essai JAVELIN Merkel 200, une étude de phase II ouverte, multicentrique, à groupe unique, menée auprès de patients atteints d’un CCM métastatique qui avait progressé après au moins une chimiothérapie pour une maladie métastatique distante. Les données les plus récentes de cette cohorte comprennent un suivi médian de 65,1 mois et font état d’une SG médiane de 12,6 mois [intervalle de confiance (IC) de 95 % : 7,5 à 17,1 mois], avec un taux de SG à 5 ans de 26 % (IC de 95 % : 17 % à 36 %).14 Le profil des effets indésirables est similaire à celui des effets du cémiplimab et d’autres inhibiteurs de points de contrôle de la réponse immunitaire; toutefois, bien qu’il ne soit pas possible d’effectuer des comparaisons directes, l’incidence des effets indésirables est plus faible, car le cémiplimab est le ligand.

Conclusion

La prise en charge du mélanome au Canada suit une voie clairement établie avec une multitude de traitements systémiques pour les stades IIB à IV. Bien qu’il soit rare que le CPNM atteigne le stade localement avancé ou métastatique, on dispose de traitements systémiques de première et de deuxième intention qui s’avèrent efficaces pour ces tumeurs malignes. Face à des patients dont le CPNM a progressé au-delà de la chirurgie ou de la radiothérapie, il est recommandé d’adresser ces patients à un centre anticancéreux régional où l’un de ces traitements systémiques pourra être envisagé.

Références 

  1. Skin cancers. World Health Organization. https://www.who.int/uv/faq/skincancer/en/index1.html. Date accessed: 11 Nov 2022
  2. Public Health Agency of Canada (phac). Non melanoma skin cancer [Web page]. Ottawa, ON: phac; 2014. [Available at https://www.canada.ca/en/public-health/services/chronic-diseases/cancer/non-melanoma-skin-cancer.html; cited 06 Mar 2022]
  3. Rogers HW, Weinstock MA, Feldman SR, Coldiron BM. Incidence Estimate of Nonmelanoma Skin Cancer (Keratinocyte Carcinomas) in the U.S. Population, 2012. JAMA Dermatol. 2015 Oct;151(10):1081-6. doi: 10.1001/jamadermatol.2015.1187. PMID: 25928283.
  4. Piva de Freitas P, Senna CG, Tabai M, Chone CT, Altemani A. Metastatic Basal Cell Carcinoma: A Rare Manifestation of a Common Disease. Case Rep Med. 2017;2017:8929745. doi: 10.1155/2017/8929745. Epub 2017 Nov 27. PMID: 29279714; PMCID: PMC5723960.
  5. Tang S, Thompson S, Smee R. Metastatic basal cell carcinoma: case series and review of the literature. Australas J Dermatol. 2017 May;58(2):e40-e43. doi: 10.1111/ajd.12459. Epub 2016 Feb 24. PMID: 26916335.
  6. Bisceglia M, Panniello G, Galliani CA, Centola M, D’Errico MM, Minenna E, Tucci FA, Ben-Dor DJ. Metastatic Basal Cell Carcinoma of the Skin: A Comprehensive Literature Review, Including Advances in Molecular Therapeutics. Adv Anat Pathol. 2020 Sep;27(5):331-353. doi: 10.1097/PAP.0000000000000267. PMID: 32618586.
  7. Product monograph: https://www.rochecanada.com/PMs/Erivedge/Erivedge_PM_E.pdf
  8. Sekulic, A., Midgen M.R., et. Al. Efficacy and safety of vismodegib in advanced basal-cell carcinoma. The New England Journal of Medicine. 2012. 366:23.
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  10. Chalmers Z. R., Connelly C. F., Fabrizio D. et al.. 2017. Analysis of 100,000 human cancer genomes reveals the landscape of tumor mutational burden. Genome Med. 9:34.
  11. Product monograph: https://pdf.hres.ca/dpd_pm/00050602.PDF
  12. Migden MR, Rischin D, Schmults CD, Guminski A, Hauschild A, Lewis KD, Chung CH, Hernandez-Aya L, Lim AM, Chang ALS, Rabinowits G, Thai AA, Dunn LA, Hughes BGM, Khushalani NI, Modi B, Schadendorf D, Gao B, Seebach F, Li S, Li J, Mathias M, Booth J, Mohan K, Stankevich E, Babiker HM, Brana I, Gil-Martin M, Homsi J, Johnson ML, Moreno V, Niu J, Owonikoko TK, Papadopoulos KP, Yancopoulos GD, Lowy I, Fury MG. PD-1 Blockade with Cemiplimab in Advanced Cutaneous Squamous-Cell Carcinoma. N Engl J Med. 2018 Jul 26;379(4):341-351. doi: 10.1056/NEJMoa1805131. Epub 2018 Jun 4. PMID: 29863979.
  13. Rischin D, Khushalani NI, Schmults CD, Guminski A, Chang ALS, Lewis KD, Lim AM, Hernandez-Aya L, Hughes BGM, Schadendorf D, Hauschild A, Thai AA, Stankevich E, Booth J, Yoo SY, Li S, Chen Z, Okoye E, Chen CI, Mastey V, Sasane M, Lowy I, Fury MG, Migden MR. Integrated analysis of a phase 2 study of cemiplimab in advanced cutaneous squamous cell carcinoma: extended follow-up of outcomes and quality of life analysis. J Immunother Cancer. 2021 Aug;9(8):e002757. doi: 10.1136/jitc-2021-002757. PMID: 34413166; PMCID: PMC8382148.
  14. D’Angelo SP, Bhatia S, Brohl AS, Hamid O, Mehnert JM, Terheyden P, Shih KC, Brownell I, Lebbé C, Lewis KD, Linette GP, Milella M, Xiong H, Guezel G, Nghiem PT. Avelumab in patients with previously treated metastatic Merkel cell carcinoma (JAVELIN Merkel 200): updated overall survival data after >5 years of follow-up. ESMO Open. 2021 Dec;6(6):100290. doi: 10.1016/j.esmoop.2021.100290. Epub 2021 Oct 26. PMID: 34715570; PMCID: PMC8564559.